DE la METEOROLOGIE : pour Démocrite, major et junior.
Zeus m'a réveillé au milieu de la nuit, foudroyant, tonnant, roulant ses canonades de par le ciel, précipitant ses bourrasques d'averse par la ville. Ce matin la pluie tombe drue pendant que la terre exsude ses parfums de nuit. Je ne sais s'il fait jour tant l'Obscur étreint hommes et choses dans ses bras herculéens. Me revient inévitablement le mot d'Héraclite : "le dieu est nuit-jour, lumière-obscurité, guerre-paix : identité des contraires".
Je me suis assis un long moment sur mon balcon. La menthe que j'ai plantée tantôt fleurit bon et frais dans l'air épuré du matin, pendant que la pluie continue doucement ses épanchements monotones. Pourquoi disons-nous que le temps de pluie est maussade? J'éprouve quant à moi une douce excitation à sentir la fraîcheur se répandre lentement dans mon corps, emportant les moiteurs, régénérant tout mon être. La pluie est une divine inspiratrice à qui sait l'accueillir sans penser.
"Ces pays imbéciles où jamais il ne pleut" chantait Brassens. Hé! que vaut le ciel bleu s'il n'est parfois torturé, embrouillé, dévasté, délavé par de fortes et brusques intempéries? In-tempéries, comme si le temps pluvieux n'était qu'un contre-temps, un temps négatif qu'il faut bien supporter pour mériter le "beau temps"! L'homme du nord que j'étais et que je reste en dépit de tout s'insurge contre la monotonie africaine. Rien de plus ennuyeux qu'une suite ininterrompue de beaux jours!(Goethe) C'est dans la variété, la contrariété, la multiplicité du hasard et des occurrences que nous trouvons notre joie! Hasard, père des idées fortes, délivre nous de la stérile répétition, fût-elle du bonheur!
Démocrite, à ce que nous conte Diogène Laerce, était féru de météorologie. Rien de surprenant à cela, quand on sait la curiosité universelle de ce génie de la nature. Mais nous réduisons la météorologie à la météo, occultant tout ce que ce terme devrait évoquer sur les météores, les choses du ciel, nuages, vents, averses, ciel clair ou nébuleux, éclipses de lune et de soleil, mais aussi corps célestes, astres, météorites, constellations et galaxies. Les choses du ciel, pour les Anciens, c'était le monde des dieux lumineux et de forces obscures et inconnaissables, abritant le mystère ultime de la destinée. Quelques d'entre nous s'imaginent encore lire leur futur dans la course et l 'accointance des planètes. Un vieux fond de mythologie le dispute à la science positive dans la considération des faits de nature, et des choses humaines. Epicure savait fort bien démêler le vrai : météorolgie : science positive des rapports de force, connaissance rationnelle des faits de nature. Mais le poète en chacun de nous continue de peupler de dieux et de monstres la surface énigmatique du ciel.
J'aime assez cette idéee de la Chine ancienne qui considérait le Ciel non comme un monde transcendant à la manière chrétienne ( les Cieux) mais comme le garant de l'ordre de l'ordre universel, manifestation sensible du tao invisible. Lire le Ciel c'était lire l'ordre du monde. Non point une sciences des augures, mais une herméneutique naturaliste. La Terre éxécute les décrets du ciel dans une sorte de congruence à la fois polémique et harmonique : contrariété harmonieuse, infinie, du Yin et du Yang, selon l'insondable logique du Tao.
Poète et scientifique se disputeront à jamais la possession de l'âme humaine. C'est peut-être au philosophe de réunir les contraires dans la contemplation de la grande unité du Tout.
(Ecrit ce jeudi, étymologiquement jovis-dies, jour de Jupiter, jovedi en italien. En allemend on dit Donnerstag, jour du tonnerre, ou mieux du Tonnant. Décidément Zeus est aujourd'hui au rendez-vous!