Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
Archives
Visiteurs
Depuis la création 1 054 760
24 juin 2009

Des INTERDITS "FONDAMENTAUX"

On distingue généralement trois interdits fondamentaux, considérés comme conditions absolues de la naissance de la culture : cannibalisme, inceste et meurtre. Freud, dans "Totem et tabou", fera une belle tentative mythologique pour expliquer la naisssance de l'interdit à partir du meurtre du père primitif, cannibalisé par ses fils réunis en horde : la mort du père entraînant la pratique généralisée de l'inceste et le plus grand désordre, les fils décident en commun de condamner et de s'interdire ces pratiques archaïques. C'est là le fondement de l'ordre civil. Par l'acceptation commune des interdits on passe enfin de la nature à la culture, de l'animalité sans règle à l'humanité normée, ce qui signifie en clair que c'est l'interdit, et lui seul, qui fonde la société humaine. Les autres inventions  culturelles viennent après : langage, religion, mythe, rites sacrificiels, poésie, peinture et le reste. On devine les conséquences : refoulement des pulsions, travail, sublimation ...et névrose. Le conflit est installé à jamais au coeur de la psyché humaine.

Lévy-Strauss pense que c'est l'interdit de l'inceste qui est seul fondamental. En proscrivant les pratiques sexuelles familiales et l'union entre consanguins on oblige à l'échange des femmes, on ouvre le socius sur le dehors et on favorise une exogamie généralisée, condition de relations suivies entre les groupes humains. De fait l'échange se fera à trois niveaux : économique (échange des biens et des services) matrimonial (échange des femmes retirées à la consommation endogamique) et symbolique (échange de paroles, de prestations culturelles) selon la loi du potlatch (Marcel Mauss).

Le sens fondamental de l'interdit serait social plutôt que psychologique : il s'agit moins de condamner des conduites jugées immorales que de fonder un ordre stable par la distinction entre la parenté et l'alliance. L'endogamique est retiré de la consommation, donc tabou ou sacré, pour que puisse se faire un échange règlé qui permette une consommation profane. Je renonce à ma soeur pour la donner à un homme d'une autre lignée, j'épouserai une femme d'une lignée différente de la mienne (d'un autre totem) : l'opération me donnera deux beaux-frères. C'est ainsi qu'est possible un élargissement du socius initial. L'humanité entre dans une ère d'extension et de collaboration, avec aussi ses revers tragiques de conflits et de guerres. Comment serait-il possible, à terme, d'éradiquer la convoitise, la jalousie, les pulsions de meurtre et la criminalité? Celle-ci, en quelque sorte est la part maudite de toute organisation sociale, "normale" dira Durkheim, non au sens moral mais rigoureusement sociologique.

Simple rappel des données classiques de la sociologie. Question philosophique : la culture est-elle d'essence radicalement distincte de la nature? L'interdit provoque-t-il une rupture absolue, un pasage authe ntiquement révolutionnaire à un autre ordre de réalité? On bien s'agit-il plutôt d'un déplacement d'investissement psychique? Et à l'arrière plan ce problème : existe-t-il une fracture décisive entre l'animalité et l'humanité?

Lévy-Strauss a longtemps soutenu le principe d'un rupture absolue dont l'interdit de l'inceste était le garant inébranlable. En est-il encore convaincu? Pour ma part je pense à la fois que la nature est une, unique et tout-englobante - Surface Absolue- sans arrière-monde, sans surnature ou sous-nature, sans exception, produisant souverainement d'elle-même les régularités et les irrégularités, les répétitions et les ruptures, et parfois les déclinaisons imprévisibles, voire saugrenues, "foedera naturai" et "clinamen" créateur, - et à la fois que cette unique nature peut se décrire comme une suite irrégulière de réalités par paliers, subatomique, atomique, moléculaire, molaire, minéral, organique, végétal, animal et humain, chaque palier réalisant une originalité de complexification croissante - mais il est peut-être des décroissances dont nous ne savons rien  - sans que jamais soit ruinée la cohérence du Tout. La culture serait ainsi une complexification de la nature, un degré évolutif particulier, dans l'immense chaîne des complexités, et peut-être nullement la dernière.

Ambiguité de la règle sociale. Partout dans la culture elle est à l'honneur, et partout bafouée. Ici on tue les nouveaux-nés mal embouchés, ailleurs on les divinise. Ici le père respecte, en principe, le pucelage de sa fille, ailleurs il la viole, l'engrosse en toute justice. Ici on condamne et réprime le suicide et l'euthanasie. Ailleurs on célèbre les vertus de la mort volontaire. Partout des règles, mais rarement les mêmes, comme on voit par l'observation des pratiques sexuelles de par le monde. Universalité de la règle, particularismes des règles. Règle, la chose la plus nécessaire, la plus louée et chantée, et la plus bafouée!

Dans toute la tradition philosophique je ne vois que Diogène le Chien pour avoir moqué, raillé, et condamné" sans appel les règles sociales. Lui qui se masturbait gaillardement sur la place publique en déclarant qu'il était plus aisé de vider son ventre que de le remplir, se gaussait ouvertement des interdits, recommandant la pratique de l'inceste, du cannibalisme, renversant us et  coutumes au nom de Zeus, et vivant selon ses principes d'excellence éthique sous la seule conduite de la nature. Le plus drôle fut que les Athéniens érigèrent une statue pour célébrer sa vertu!

Que penser de tout cela? Que l'humanité repose sur des interdits je le veux bien. Mais qu'on en fasse je ne sais quel principe sacro-saint, transcendant et immuable, je le récuse. Mais qu'on en fasse la pierre de touche de l'authentique moralité, je m'en ris. Convention nécessaire, purement sociale, mais évolutive, semper reformanda, voilà qui me semble plus acceptable. Quant à l'avenir, si du moins l'humanité a le moindre avenir, je ne puis jauger les évolutions du Droit et de la Morale. De toute manière l'éthique philosophique repose sur de toutes autres vérités.

Publicité
Publicité
Commentaires
E
OUI à l'aide au suicide, mais NON à l'euthanasie !<br /> <br /> Au sujet de la différence entre l'euthanasie et l'aide au suicide, il faut distinguer entre les arguments juridiques, éthiques et religieux. On ne peut pas simplement affirmer sans nuance qu'il n'existe pas de différence entre les deux : dans un cas c'est le patient lui-même qui s'enlève la vie (aide au suicide) alors que dans l'autre c'est le médecin qui la retire. Il faut d'abord préciser sur quel terrain (juridique, éthique ou religieux) on tire notre argumentation. Si l'on se situe sur le terrain de l'éthique, on peut raisonnablement soutenir qu'il n'existe pas de différence. Cependant, si l'on se situe sur le terrain juridique, il existe toute une différence entre l'euthanasie (qualifié de meurtre au premier degré dont la peine minimale est l'emprisonnement à perpétuité) et l'aide au suicide (qui ne constitue pas un meurtre, ni un homicide et dont la peine maximale est de 14 ans d'emprisonnement). Dans le cas de l'aide au suicide, la cause de la mort est le suicide du patient et l'aide au suicide constitue d'une certaine manière une forme de complicité. Mais comme la tentative de suicide a été décriminalisée au Canada en 1972 (et en 1810 en France), cette complicité ne fait aucun sens, car il ne peut exister qu'une complicité que s'il existe une infraction principale. Or le suicide (ou tentative de suicide) n'est plus une infraction depuis 1972. Donc il ne peut logiquement y avoir de complicité au suicide. Cette infraction de l'aide au suicide est donc un non-sens.<br /> <br /> En revanche, l'euthanasie volontaire est présentement considérée comme un meurtre au premier degré. Le médecin tue son patient (à sa demande) par compassion afin de soulager ses douleurs et souffrances. Il y a ici une transgression à l'un des principes éthiques et juridiques des plus fondamentaux à savoir l'interdiction de tuer ou de porter atteinte à la vie d'autrui. Nos sociétés démocratiques reposent sur le principe que nul ne peut retirer la vie à autrui. Le contrat social « a pour fin la conservation des contractants » et la protection de la vie a toujours fondé le tissu social. On a d'ailleurs aboli la peine de mort en 1976 (et en 1981 en France) ! Si l'euthanasie volontaire (à la demande du patient souffrant) peut, dans certaines circonstances, se justifier éthiquement, on ne peut, par raccourcit de l'esprit, conclure que l'euthanasie doit être légalisée ou décriminalisée. La légalisation ou la décriminalisation d'un acte exige la prise en compte des conséquences sociales que cette légalisation ou cette décriminalisation peut engendrer. Les indéniables risques d'abus (surtout pour les personnes faibles et vulnérables qui ne sont pas en mesure d'exprimer leur volonté) et les risques d'érosion de l'ethos social par la reconnaissance de cette pratique sont des facteurs qui doivent être pris en compte. Les risques de pente glissante de l'euthanasie volontaire (à la demande du patient apte) à l'euthanasie non volontaire (sans le consentement du patient inapte) ou involontaire (sans égard ou à l'encontre du consentement du patient apte) sont bien réels comme le confirme la Commission de réforme du droit au Canada qui affirme :<br /> <br /> « Il existe, tout d'abord, un danger réel que la procédure mise au point pour permettre de tuer ceux qui se sentent un fardeau pour eux-mêmes, ne soit détournée progressivement de son but premier,<br /> et ne serve aussi éventuellement à éliminer ceux qui sont un fardeau pour les autres ou pour la société. C'est là l'argument dit du doigt dans l'engrenage qui, pour être connu, n'en est pas moins réel. Il existe aussi le danger que, dans bien des cas, le consentement à l'euthanasie ne soit pas vraiment un acte parfaitement libre et volontaire »<br /> <br /> Eric Folot
Répondre
Newsletter
155 abonnés
Publicité
Derniers commentaires
Publicité