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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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19 juin 2009

De l' HETERONOMIE et de l' AUTONOMIE

"Nomos" c'est la loi, par opposition à "Physis", la nature. C'est le propre de la culture de nous faire basculer de gré ou de force sous l'égide de la loi sociale, des obligations et des interdictions, des conventions juridiques, politiques, voire religieuses. D'aucuns, comme les Kuniques, restent intangiblement fidèles à la nature et contestent violemment toute ingérence du Nomos. Diogène par exemple se réclame du vrai Zeus contre les déités civiques et rejette toute convention au nom de la vertu de nature. C'est là une exception, y compris dans le monde grec. En général on admet la perte irrévocable des "lois" de nature au bénéfice de l'inscription dans l'ordre symbolique de la cité. Mais alors que devient la physis originelle du citoyen soumis à la loi, du "sujet", de l'homme assujetti à la norme commune?

L'"hétéronomie" c'est la Loi de l'Autre. Kant distinguait fort justement le domaine de l'hétéronomie, soumission inévitable au socius politique, -  de l'autonomie, capacité de se donner à soi-même ses propres lois, qui ne se conçoit valablement que dans le domaine de la liberté morale. Reste à voir si la morale n'est pas le domaine par excellence de la soumision aux normes, dans le respect des pouvoirs établis et la conformité aux exigences de la raison. Kant se tirait d'affaire en soutenant que la Raison morale (pratique comme il dit) ne se définit pas par rapport au politique, domaine par excellence de l'hétéronomie,  mais à la liberté. N'est-ce pas là un de ces tours de passe-passe idéologique dont  Kant avait le secret? Car enfin que vaut cette liberté morale si on n'examine pas de près en quoi elle est authentiquement libre, c'est-à-dire capable de se détacher des impératifs sociaux intériorisés (Surmoi freudien) pour se poser elle-même comme souveraine instance critique d'appréciation et de jugement? L'autonomie n'est pas un fait de nature, ni une donnée immédiate de la culture. Bien au contraire elle n'existe qu'au prix d'une difficile libération.

L'autonomie ne serait elle qu'une idée creuse, une de ces turpitudes idéalistes destinées à jeter de la poudre aux yeux , à nous halluciner pour oblitérer le réel?

L'hétéronomie est une réalité. C'est même la réalité  par excellence si l'on considère le sort commun de l'humanité. Partout l'homme aspire à la liberté, "et partout il est dans les fers" (Rousseau). Quant à moi je ne suis pas sûr du tout que l'homme aspire vraiment à la liberté. Je le vois au contraire prier, s'abaisser, adorer, se démettre, et ramper devant les puissances qu'il feint de haïr pour mieux les vénérer. Et si surgit quelque part une révolution, elle n' a qu'un temps, et bientôt réapparaît partout la hideuse grimace de la soumisssion. Le spectacle de l'histoire, que peut-il nous inspirer si ce n'est un dégoût tenace, un écoeurement et une lassitude sans borne? Un espoir de paix et de libération jaillit de sein d'un monde exténué de haine et de violence, mais c'est pour retomber bien vite dans la dictature et l'abjection. Nos démocraties elles-mêmes, ces précieuses conquêtes de l'esprit, semblent vaciller sur leurs bases. Corruption, confiscation, aliénation, veulerie et domestication ravagent le fragile édifice de la liberté civile. Tout semble donner raison à Hobbes, Freud, Schopenhauer et Machiavel : "Les hommes sont de tristes sires".

J'ai de plus en plus de mal à penser le politique. Je suis tenté, je l'avoue, par un détachement dégoûté. Mais qu'y puis-je? Je continue de voter sans y croire, d'espérer sans m'illusionner, de souhaiter sans me convaincre. Déchiré entre un pessimisme sans recours et une disposition invinciblement progressiste, je  contemple le spectacle du monde avec une secrète mornitude, une inconsolable nostalgie et une espérance enfantine. Tantôt enthousiaste, tantôt excédé, et toujours désabusé. L'hétéronomie semble éternelle, invincible comme le destin en personne. Tragique indépassable du politique. Figure d'airain de l'Impossible libération.

Je ne vois d'autonomie possible que dans une culture supérieure qui aménage un espace ouvert, accessible à quelques-uns, artistes, penseurs, poètes ou philosohes qui ne soient pas enchaînés aux lois du travail, à l'impitoyable nécessité, au rendement et à la justification. Toute beauté, toute vérité, toute noblesse viennent de là. Abbaye de Thélème. Jardin d'Epicure. Jeu des perles de verre. Communauté spirituelle. Mystique du Cosmos. Contemplation et Méditation. Jardinage du corps et de l'esprit, du corps-esprit. Spinoza estimait que l'ultime raison d'être de la culture est de permettre l'éclosion d'une vraie et libre philosophie. Goethe de même. Il faut beaucoup de conditions pratiques pour rendre possible une telle cité de la pensée. Agissons pour que dans l'avenir l'accès à cette cité puisse s'élargir, et s'élargir encore. La grâce ultime de la Nature n'est-elle pas d'enfanter des dieux?

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Commentaires
A
ce dernier enchainement aboutit à la pensée circulaire voire tautologique, c'est pourquoi je préfère de loin la réflexion précédente qui conduit à faire du désir , un objet dépendant de sa propre pensée afin de ne pas en être addict. La conséquence en est la pensée non enfermée par elle-même, ni enfermante pour l'autre, les autres. Le "système" est et reste ouvert puisque l'ambivalence objet-sujet devient ou est décidable. C'est alors un choix, une liberté
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J
Selon moi, ce désir de dépendance n'est pas vraiment un désir de dépendance, mais plutôt une dépendance au désir. Pas au sens de dépendance à l'objet du désir (je laisse ça aux psychanalystes) mais au désir en tant que désir. <br /> Gnoti Seauton ? Cela dépend.<br /> Plutôt : de quoi avons-nous peur ?<br /> <br /> Il me semble bien que la dépendance au désir peut être comprise et interprétée comme, simplement, la dépendance à la pensée. <br /> La voie Tchan ou zen ou la voie de l'advaita, se résume en ceci : être libre par rapport à ses pensées, c'est à dire par rapport au penseur.<br /> <br /> Remarquons l'enchaînement imparable : si je colle à mes pensées, j'en fais des vérités. Si j'en fais des vérités, ces vérités sont des vérités pour tout le monde. Si ce sont des vérités pour tout le monde, j'assume ou je revendique un système. Si je revendique un système, j'admets les systèmes des autres.
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G
Je suis bien d'accord avec vous. Le problème est de comprendre d'où vient ce désir inconscient de dépendance. De quoi avons-nous peur? L'homme a toujours été un animal de horde, et cela est effectivement inscrit dans l'inconscient (voir le surmoi freudien) comme une forme perverse de loi. La vraie loi est de tendre à devenir soi-même. C'est l'ancienne et indépassable leçon de la sagesse. GNOTI SEAUTON
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J
Autonomie/hétéronomie, penser par soi-même, c'était un peu le thème de l'émission de philosophie sur la 7 animée par Enthoven. (Ca a bien commencé, ça a mal fini)<br /> <br /> Je pense qu'il est inutile de vouloir combattre les différentes expressions ou manifestations de l'hétéronomie. On en viendrait certainement à s'appuyer sur d'autres systèmes hétéronomes.<br /> <br /> Comme vous le notez : <br /> " Quant à moi je ne suis pas sûr du tout que l'homme aspire vraiment à la liberté. Je le vois au contraire prier, s'abaisser, adorer, se démettre, et ramper devant les puissances qu'il feint de haïr pour mieux les vénérer. " <br /> cette allégeance est profondément inscrite dans l'homme.<br /> <br /> On se croit autonome, on n'a fait qu'intériorisé la loi. (hétér(aut)onomie)<br /> <br /> Que faire d'autre, dans ces conditions, que de se libérer soi-même de cette emprise, de vaincre la dépendance. Réellement au point d'en arriver au mépris naturel, spontané de tout système établi.
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A
que de vous lire ! <br /> Je cherchais une définition de l'Hétéronomie et me voilà comblé.
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