L' OUVERTURE INFINIE
Je ne construis pas un nouveau système philosophique. Ces rêves-là sont d'un autre âge. Nous savons aujourd'hui, un peu mieux, les limites du savoir. S'il fallait vraiment donner un terme générique à ma démarche je ne saurais me réclamer, en matière de connaissance, que de l'inspiration antique. Ne rien croire que l'on n' ait expérimenté par soi-même. L'intérêt de la vie, outre l'efflorescence sensible, c'est l'expérimentation. En ce chapître se rencontreront aisément Héraclite, Démocrite, Epicure, Bouddha, Pyrrhon, et bien sûr l'indépassable Montaigne.
A dire vrai je me suis réveillé ce matin tout imprégné d'Enésidème. Avant que de me précipiter sur mes sources je tenais à le célébrer ici, au titre de la sublime tradition pyrrhonienne, dont il est l'ultime représentant antique, et le plus éminent. Pendant que se déchaînent les hystéries néo-christiques il crée cette dernière flambée de la sensibilité grecque, "skeptikè", c'est à dire "scrutatrice", celle précisément qui couronne tout l'édifice de la sagesse, et que nous avons impitoyablement dévastée.
Que retenir de ceci? Table rase. Nettoyage, curetage. Travaux d'Héraklès : les écuries d'Augias, et les têtes de l'Hydre. Retrouver l'innocence du premier jour, quand le soleil ouvre l'espace à la lumière, inonde les champs et fertilise les plantes, dilate le coeur du poète. Nouvelle aurore, nouveau commencement. La grande Nuit a effacé toute rancoeur, balayé la haine et le ressentiment, décanté le savoir. Tout commence à l'instant même, sans reste, sans trace, comme le vol de l'oiseau dans le ciel.
Devant ce vertige de création ininterrompue ne tremblent que les dévots assoiffés de certitude, les impénitents de l'assurance-vie, les fanatiques d'immortalité. Ceux qui tournent sans fin dans le sillon de leur délire. Ceux qui veulent la certitude de la mort plutôt que le frisson de l'existence. Ceux qui craignent de ne pas savoir, de ne pas pouvoir prévoir. Les frileux et les grincheux. Mais accueillir la nouveauté du jour, le coeur pur et l'âme sereine, voilà la poésie en acte.
Dire : "j'aime la Beauté", c'est se sentir un corps en vibration, un coeur ouvert et généreux, un esprit merveilleusement disponible aux mille rencontres du Kairos souverain.