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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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8 mai 2009

De l' AGRESSIVITE en PHILOSOPHIE

"A quoi diable peut bien servir une philosophie qui ne dérange personne!", s'exclame Diogène le Chien en commentant Platon. Et de fait Platon ne dérange ni les politiques au pouvoir, ni les dévots, ni les dogmatiques de tout poil. Et ce n'est pas par hasard si Platon se verra si bien estimé des Chrétiens, des Idéalistes et largement récupéré dans la tradition monothéiste et universitaire. Durant toutes mes années d'apprentissage à la Faculté  c'est à peine si si j'ai vu mentionné le nom d'Epicure, de Lucrèce, de Démocrite, et encore moins de Pyrrhon, si ce n'est pour les voir vilipendés sans autre forme de procès. La Faculté de philosophie - et les concours qui sanctionnent les études- ne connaissent de fait que Platon, Aristote, Descartes et Kant. Tous les autres, et nommément ceux qui dérangent le sommeil dogmatique des philosphes patentés, sont passés à la purge, dans les scabreuses poubelles de l'Histoire .

Ce consensus mou a ses raisons, trop évidentes. Voir la dessus l'écrit caustique de Schopenhauer "Sur la philosophie universitaire", ou encore le brûlot de Marx contre Feurbach. Pour moi il est clair que ce qu'on promeut sous le noble nom de philosophie se range aisément sous deux catégories opposées: celle qui plie l'échine devant le pouvoir, tous les pouvoirs, et qui ne mérite guère que l'appellation d'idéologie, et celle qui dérange. Diogène dérange. Epicure dérange. Lucrèce dérange. Pyrrhon dérange. Spinoza, Schopenhauer, Nietzsche, Deleuze dérangent, irritent, scandalisent. Cela mérite une réflexion plus poussée sur l'agressivité.

Nous confondons trop facilement agressivité et violence. Il est une agressivité juste, légitime, exemplaire. Diogène est éminemment agressif : il vitupère, crache dans le bénitier, provoque, aboie, hurle, agresse les passants, se fait lui-même machine de guerre contre les moeurs décadentes, les valeurs hypocrites, les conventions absurdes, opposant au corps social dégénéré le "corps de la nature éternelle", la vertu contre le vice programmé, l'insolence contre le conformisme, les vrais dieux contre les dieux populaires, la vraie monnaie contre la fausse. Agressivité maximale, démonique, inspirée, allègre et hypomaniaque! Le voici en promenade par la ville, en plein jour, une lampe allumée à la main et clamant à la hussarde : "Je cherche un homme! N'y at-t-il donc pas un seul homme dans cette ville?". Et pourquoi tant de fureur? Est-ce là une conduite digne d'un sage? Mais que sait-on du Sage? Que sait-on de cette folie si spéciale qui inspire jusqu'à l'exaltation des paroles incendiaires, des conduites saccageuses? Le sage n'est pas un tendre, ni un timide. Il se donne vocation divine à dire le vrai, dût-il offenser Zeus en personne. Aussi le considère-t-on comme un insensé. C'est ainsi que firent les citoyens d'Abdère en voyant Démocrite rire, indéfectiblement rire au spectacle de leur insanité! Et c'est ainsi que l'on fit pour se débarrasser de Socrate. La profession de philosophe, dans l'Antiquité, ne va pas sans risque.

Mais qu'est ce qui distinguera la bonne agressivité de la mauvaise? Non la forme extérieure, qui peut paraître identique, mais la nature des forces qui la sous-tendent et la justifient. Diogène est inspiré par Zeus, et se veut réformateur politique et éthique. Socrate se réclame de l'Apollon de Delphes, envoyé par le dieu pour restaurer la vérité de la sagesse. Spinoza décrasse les vieilles lunes des idéalistes et des dévots, déchire la révélation et décrit son Deus-Natura comme puissance infinie, création perpétuelle, et le sage comme homme libre, affranchi des superstitions, des fausses causalités délirantes, des interprétations sottes et béates de la religion. La guerre est déclarée, "la guerre, ce dieu père de toutes choses", non pour répandre le sang, la terreur et l'injustice, le fanatisme des crétins et le pouvoir des tyrans, mais tout au contraire pour libérer les forces actives, destructrices de passé et créatrices d'avenir, pour engendrer cette nécessaire révolution mentale sans laquelle l'Histoire n'est que le monotone retour du Même : répétition morne de la crainte des dieux ou de Dieu, espoir d"immortalité factice et fantasmatique, soumission aux prêtres, religieux ou laïcs, échine courbée devant l'Idole, l'Infâme et le Baal de la mortification. Voir Spinoza. Pourquoi croyez-vous que le clergé rabbinique a pu crier " Voici Spinoza l'hérétique. Crachez sur sa tombe!"? Qui peut pardonner à un homme de s'être cru autorisé à penser par lui-même, à écrire ce qu'il pense et à braver les pouvoirs?

Agressivité libératrice contre violence institutionnelle. Pensée libre contre le conformisme. Raison contre les démons et les monstres de l'imaginaire (Epicure) Force ascensionnelle contre la rétrogradation des passions mortifères. "A bas l'Infâme"!

Et je dirais aujourd'hui, plus calmement : dans ce monde voué au Monstrueux, nous, philosophes, poètes, artistes, nous avons un devoir, non de mémoire - halte à la mémoire morose des passions tristes, halte à la rumination interminable, aux "analyses interminables"! - mais d'Oubli actif, de digestion et d'élimination, de destruction du négatif (le deuil du deuil) - et de régénération, de re-naissance, de croissance, de développement des puissances actives et inventives! Vaste programme pour une révolution intégrale!

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