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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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20 juin 2008

DE VITA CONTEMPLATIVA III

Quelles sont les modalités de la contemplation philosophique? J'en distinguerai trois.

L'intellection, la contemplation proprement dite et la méditation.

L'intellection désignera ici l'activité de penser telle qu'elle est pratiquée par les philosophes depuis Démocrite c'est à dire la recherche de la définition exacte dans un champ de réalité clairement délimité, l'élaboration du concept en relation différentielle avec les concepts voisins, le travail dialectique, la classification, le développement discursif, la création in fine d'un univers conceptuel cohérent qui ouvre une perspective nouvelle sur le Réel. C'est en ce sens que Spinoza fait l'éloge de la "ratio" opposée à l'opinion, à l'humeur et aux passions. Deleuze dira encore plus justement que l'activité du philosophe est de créer des concepts et que la validité d'une philosophie se reconnaît à cette aptitude de l'auteur à élaborer une visoion du monde qui interpelle et ouvre de nouveaux champs de recherche. Je n'ai rien à ajouter, tant cela est évident pour un praticien de la philosphie. Sauf que ce n'est, à mon avis, qu'une potentialité parmi d'autres, dominante en Occident, cela va de soi, nécessaire sans aucun doute pour assurer les bases d'un travail sérieux, mais qui ne représente peut-être qu'une option, qu'un type de regard, celui de la relation sujet-objet, et à ce titre relativement clôturé. Les plus grandes pensées, comme celle de Spinoza ou de Schopenhauer, distinguent soigneusement le point de vue rationnel (plus efficace en fin de compte dans les sciences) et le point de vue intuitif, dont le concept ne saurait épuiser le contenu, et qui relève finalement d'une approche plus globale et englobante. C'est ainsi que Bergson oppose le temps et la durée, le temps mathématique, calculable, temps de la vie sociale et de la science, calqué sur l'approche de l'espace - et d'autre part la durée comme "mélodie", changement ininterrompu, processus créateur et inventif. Cet exemple nous permet de passer de l'intellection à la contemplation.

L'intellection isole, découpe, discrimine, juge, conceptualise et finalment réifie ce qu'elle touche: elle s'achève dans un savoir systématisé d'où le sujet est absent, ainsi que la durée, et en poussant les choses à l'extrème, le Réel dans son surgissement créateur, hasardeux, imprévisible et "quantique". Chez Bergson la durée n'est plus un objet de pensée au sens conceptuel, mais une sorte de révélation, de révolution dans l'appréhension des "choses", non des "objets" qui relèvent, eux, de la pensée discursive. La durée, cela s'éprouve dans un corps sentant et vibrant, dans une conscience ouverte aux changements infinitésimaux, aux infimes modulations de la vie, à la fois interne et externe, comme une mélodie qui se déploie aussi bien dans la conscience sensible et intuitive que dans l'univers "vivant", vaste symphonie cosmique, dont la science physique ne nous donne qu'une partition figée et incomplète. L'intuition bergsonienne est participative. Il ne s'agit plus du monotone dialogue d'un sujet qui croit maîtriser un objet, préalablement défini et sclérosé dans une définition (une "finition") mais d'un processus qui inclut le "sujet"( faut-il encore parler de "sujet"?) dans l' observation elle-même, organisme vivant dont l'observation participe, non comme un deus ex machina, mais comme élément cosubstantiel du tout.

L'attitude mentale de la contemplation est omni-accueillante, sans discrimination, sans concept. Kant en parle fort bien, mais uniquement pour l'expérience esthétique qui échappe au principe de raison. Mais il est déjà beau qu'il puisse admettre une approche spécifique des "choses" de l'art, dans l'activité du goût, source d'un plaisir désintéressé. Rien ne nous oblige à cette réduction là, et on peut, comme le fait Bergson, et comme le faisaient les Anciens, donner à la contemplation une sorte de préséance universelle. Pourquoi éliminer l'intuition sous prétexte de subjectivité, quand la rationnalisation n'est autre chose qu'une subjectivité collective, partagée, conventionnelle en un mot. Pour accéder au niveau de la contemplation il faut avoir mesuré les limites de la conceptualisation, et le pyrrhonisme nous en donne une remarquable leçon qui irritera le scientifique et le croyant tout aussi bien.( Descartes et Pascal)

Pour moi donc j'aime contempler. Cela peut être une chose commune, une source, un feu de bois, le vol du héron, l'amoncellemnt des nuages, la limpidité du ciel et de la mer Egée, les charmants petits ports de Bretagne, mais aussi la laideur et la tristesse incommensurable des banlieues ou le voile noir de la mélancolie. Peu importe, puique ce n'est pas un objet que je contemple, mais à travers lui cette "chose" en relation impermanente avec toutes choses, et en ouvrant le couvercle, l'univers, et le Tout. Le tout est dans la partie. Dans le Kairos contemplatif le vol de l'oiseau est monde, univers déchiré, trouée d'espace, ciel donné à voir et à sentir, épée de lumière et révélation. Le tout sans mysticisme aucun, sans rationnalisation ni démonstration. La Chose ouvre au Tout, c'est cela la contemplation. Qu'en tirons nous? Aucun savoir, c'est évident. Aucune théorie nouvelle. Rien, en somme, si ce n'est cette extraordinaire conscience de l'impermanence universelle, de l'interdépendance, de la mortalité immortelle, ou pour parler comme Héraclite, nous redécouvrons que le jour est nuit et que la nuit est jour, que l'aller et le retour sont une seule et même durée, et que d'une certaine manière tout surgit, se développe et s'abolit pour renaître et périr sans fin.

Cela encore reste à peu près formulable, encore qu'on ne sache plus très bien si on est en philosophie ou en poésie. Mais que vaut ici cette traditionnelle  distinction? Elle ne valait ni pour Empédocle ni pour Héraclite. Elle ne vaut pas pour moi. Au delà nous entrons dans le troisième genre de connaissance : la méditation.

La contemplation, de par sa démarche propre, nous induit tout naturellemnt à nous asseoir, à surseoir à tout pensée et préoccupation, à faire retraite en nous-même, en accord avec le ressenti contemplatif, à le prolonger, l'approfondir par la réceptivité maximale dont nous soyons capable. Pour cela on pourra préférer la position assise, à l'orientale si on peut, mais une chaise aussi peut faire l'affaire. Laisser entrer profondément dans le corps la vivacité des sensations, accueillir images, symboles, émotions, sans réfléchir, sans analyser, laisser se déployer toute cette imagerie mentale, jusqu'à l'épuisement naturel des associations. L'attention au respir, menée avec persévérance, nous conduira bientôt dans ces prairies du calme, calme du corps et du coeur, présidant à l'apaisement du mental, de ses émotions et de ses images. Alors la méditation peut commencer, c'est à dire, ici, l'acceptation du "rien faire" dans la béatitude progressive de la vacuité. Les limites se dissolvent, limites du corps et le pensée, on se laisse doucement glisser dans une sorte d'océan sans bordure.. Le moi, cet ennemi nécessaire mais encombrant de notre vraie nature, apprend au moins à se relâcher et à se taire quelques précieux instants. Cette expérience du vide peut être terrifiante : c'est que vous n'êtes pas prêts : remettez à plus tard. Elle sera délicieuse au delà de toute volupté dans certains moments où ni temps ni durée n'ont plus la moindre signification: vous êtes revenus à l'origine de toutes choses. Souvent la méditation s'avèrera décevante. Cela aussi en fait partie. Vous apprenez à cohabiter avec l'ennui, la fatigue, l'exaltation, la colère et l'angoisse. Une seule règle: régularité, sans obstination ni vouloir. Ne pas vouloir est souvent plus difficile que vouloir. Ecole de renoncement et de décantation la méditation noous enseigne une sorte de placidité, de simplicité, de naturel que l'on ne peut guère atteindre par d'autres voies. Aussi fait-il s'étonner, et s'indigner, que nul en Eurpoe n'en fasse le sommet de la pyramide philosophique, comme faisait Bouddha.

On comperendra mieux mon amour inconditionnel des Anciens, ceux d'avant la science et la technologie. Non par nostalgie romantique d'un passé dépassé. Mais par souci de synthèse. Nous avons développé extraordinairement les sciences et la connaissance rationnelle, écarté Dieu et les dieux, démystifié le monde. Fort bien. Mais à quel prix? Le temps est venu de réintroduire ces dimensions anciennes et toujours actuelles de la philosophie, non pour combattre la science et la raison, mais pour rouvrir ces champs fleuris de la connaissance et de la pratique, dont le charme et la fragrance sont toujours là, bien que menacés par le monstrueux de notre mondre, et qu'il importe de protéger, de cultiver et de faire refleurir, comme symbole du futur.GK

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Commentaires
G
pour Soi : ce que tu dis est vrai dans le principe mais souvent irréalisable dans les faits, hélas! Ce que tu dis représente l'idéal de l'existence humaine. Il y faut une discipline non contraignante mais souple et ferme à la fois!<br /> Merci à Nicolas pour ce mot qui donne le sentiment heureux de n'être pas tout à fait seul! Il faut se dire également que "le sentier" est pluriel, multiple, en arborescence peut-être, et que "le sentier est le but". Amitiés. Guy
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N
merveilleux texte mon cher GK, nous marchons sur un même sentier.<br /> <br /> amitiés, nicolas
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S
je maintiens: on peut être dans un état contemplatif en agissant tout autant qu'en ne faisant rien (tout comme pour les trois distinctions).<br /> <br /> Humaniarcalement :o)
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