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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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19 mai 2008

IDENTIFICATION ET IDENTITE

Bouddha nous enseigne ceci : ne vous identifiez ni à la terre, ni à l'eau, ni au feu, ni à l'air ni à l'espace (les éléments naturels externes et internes).

                                       ne vous identifiez ni au corps, ni à la sensation, ni à la perception, ni aux constructions mentales, ni à la conscience (les cinq skandas, ou ingrédients composant la personne)

                                         ne vous identifiez à aucun dogme, aucune idée que vous n'ayez expérimentés par vous-même. Plus tard, plus radicalement encore , il nous recommande de ne pas nous identifier au vide ni au non-vide, ni à la forme, ni à la non-forme, ni à l'alliage de la forme et du vide, ni au non alliage de la forme et du vide. (Théorie de la vacuité : anatta)

Qu'est-ce à dire?  Ne vous identifiez à aucun élément naturel ou mental, et pour autant, de sombrez pas dans le nihilisme qui ruine toute réalité au nom du vide, ni dans l'éternalisme qui pose l'existence de choses ou de substances impérissables. Tout est impermanant, donc toute identification, en tant qu'elle fige l'esprit dans une position donnée, est fondamentalment erronnée, fallacieuse et illusoire. L'identification est un piège mortel. Se dégager, sans faire de son dégagement une autre idéologie! Nirvâna, c'est à dire littéralement extinction de toute croyance, identification et non-identification!

On mesure l'extrême difficulté de la tâche, voire son impossibilité! Aussi les vrais bouddhas sont-ils rares de par le monde! Même le bon Schopenhauer n'arrive pas tout à fait à boucler le programme, c'est dire!

Dans son infinie clémence Bouddha ajoute toutefois, et cela en surprendra plus d'un, que si le pratiquant ne parvient pas à se désidentifier complètement, il vaut mieux encore qu'il s'identifie à son corps plutôt qu' à son esprit. Bouddha, qui est réaliste sur le plan psychologique, a de bonnes raisosns de se méfier de notre tendance à surestimer la puissance de la conscience, et à s'identifier à l'Absolu lui-même, dont il a pourtant en théorie ruiné la consistance avec la thèse de l'impermanence universelle. Il vaut encore mieux en revenir au corps, dont l'impermanence est flagrante, tous les jours observable, périssable, voué à la maladie et la mort : le corps nous enseigne une partie essentielle de la vérité là où l'esprit a une tendance fâcheuse à nous faire miroiter des paradis inaccessibles, de faux nirvânas, et d'illusoires délivrances. Rien n'arrête, si ce n'est la pratique assidue, cette folie de la conscience ou de l'inconscient (les formations mentales) à fuire le réel, à fomenter des fantasmes de toute nature et à se laisser bercer d'illusions, comme on fait dans le brahmanisme, et globalement dans toutes les religions. Ah merveilleux Siddharta! Nul ne t' a jamais dépassé en intelligence.

Ce qui me frappe en ce point, c'est la convergence inattendue de Bouddha et d' Epicure! Bien sûr Bouddha n'est pas matérialiste comme Epicure, et il condamnerait sans réserve une philosophie qui affirme l'universailité indépassable des corps. Il n'empêche : les deux thérapeutes se rencontrent bien sur ce point : impermanance de toutes les formes, y compris mentales, retour au corps comme lieu privilégié de réflexion sur la non-structrure des choses ( Bouddha recommandait entre autres exercices de méditer devant le cadavre, ou dans les cimetieres autant que devant la beauté des spectacles naturels), caractère définitif de la mort empirique (Dôgen : "la cendre ne redevient pas bois"), réalisme psychologique extrême, méfiance indéracinable à l'égard des "constructions mentales" et des idéologies. Tout le reste les sépare, mais il était important de souligner sur ce point précis cette convergence autant surprenante que révélatrice : le corps d' abord, comme lieu de vérité.

Il vaut mencore mieux s'idetifier au corps qu'aux constructions mentales (imaginaire, fantasme, illusions narcissiques ou objectales, projctions de toutes sortes, identifcation au glorieux ou au misérable,  dévaluation ou surestimation de soi, dépression et exaltation etc) Mais attention : le contemporain va croire qu'il s'agit du corps comme image de soi et va se précipiter face au miroir "Miroir, mon beau miroir ...". Je pense que c'est encore une esquive, même si nous voyons irréversiblement notre corps se dégrader. On peut toujours rêver d'une résurrection des corps à la fin des temps, comme font les chrétiens! Mais quel corps? Celui de l'enfance, l'embryon, le foetus, l' homme mûr, le cadavre en décomposition, le corps sans organe? Tout cela est d'une absurdité renversante. Je pense qu'il s'agit plutôt du corps réel, celui "de la terre, de l'eau, du feu, de l'air et de l'espace" c'est à dire les organes secs ou humides, les humeurs, les vents internes, l'air que l'on inspire et expire, les cheveux et tous les orifices, glorieux ou pas. Même les toilettes, et la défécatiuon peuvent être lieux de méditation. La pensée bouddhique est impitoyable. Rien de notre misérable condition ne nous sera voilé ou épargné: c'est le reél tel qu'en lui même...Quand nous pensons corps nous pensons plaisir ou saleté, goût ou dégoût, mais rarement nous nous prenons pour ce corps en composition et recomposition. C'est là trivialité, vulgarité, obscénité, ou complaisance macabre. Mais cela est aussi une extraordinaire école de réalisme physiologique et psychologique.

Il faudrait bien sûr dépasser rapidement cette identification au corps. Après tout dira-t-on, nous ne sommes pas que des corps. Et d'énumérer nos merveilleuses facultés d'imagination, d'invention, d'intelligence. Et c'est reparti! Il va falloir dégrosser la prétention, la suffisance, l'orgueil, la vanité, l'illusion, l'ignorance, la méconnaissance, la fierté,  l'abjection, la perversion et tous les autres crimes potentiels. Est-ce possible? Personnellement je ne crois pas. On peut dégrossir en effet, mais comme dit Pyrrhon "il est bien difficile de dépouiller l'homme". En termes bouddhiques : "Il est bien difficile d'accéder au nirvâna, et pour beaucoup il y faudra plusieurs cycles d'existence".

Revenons à notre problème: en théorie "s'identifier à" revient à "s'aliéner à", c'est à dire à corrrompre sa nature, à fausser ses représentations en se prenant pour un autre, ou pour le défenseur d'une cause, d'une profession, d'un idéal. On aura compris que se désidentifier est une condition préalable de salut. Mais les réidentifications guettent de tous côtés, tel ce philosophe qui fut successivement chrétien, marxiste, musulman et que sais-je encore! Essayez un moment de vous déidentifier de tout! Vous serez toujours encore père de famille, fils de votre père, ou Européen à défaut d'être encore Périgourdin ou Breton. Comment pourrions-nous nous désidentifier totalement? N'être plus rien que nous même, sans référence externe, sans affiliation, ou pour parler comme les Orientaux, sans "karma"? Ce serait en effet le nirvâna. Est-ce possible dans les conditions pratiques de l'existence, dans l'exercice de sa profession, dans sa famille, dans son intimité privée même? Nous sommes condamnés en fait à cacher notre identité, à supposer que nous l'ayons trouvée, ce qui ne veut pas dire grand chose. Mais admettons. J'ai pris conscience de mon identité, c'est à dire, dans ce contexte, de ma singularité absolue, indéracinable - ( soit dit en passant une telle thèse est peu bouddhique si l'on estime qu'il n'y a jamais de permanence, même pas du supposé Moi) il faudra bien que je compose avec le monde, que je triche parfois, mente parfois pour d'excellentes raisons d'ailleurs -qui en jugera?- (mettons qu'une telle hypothèse est plutôt épicurienne ou spinozienne) et dans ce cas comment ne pas s'identifier à quelque chose, à une valeur etc. Théoriquement c'est possible. Montaigne l'affirme tranquillement : "Le maire de bordeaux et moi avons toujours fait deux").  Une identité personnelle et singulière qui joue un certain jeu, jusqu'à un certain point, sans s'identifier à ses rôles. C'est que Lacan appellera le "semblant". Pour vivre il faut se compromettre dans le semblant. Cela ne devrait pas nous priver de notre identité. "Identification sans identification" ou 'identification symbolique sans identification imaginaire" (je suis un père, je ne suis pas le père). Voilà déjà un niveau fort avancé.

Je ne peux pas dire que je m'identifie à moi-même, car alors je m'aliène dans la réification. Je ne dois m'identifier à rien dans le monde, ni aux autres, ni à moi-même, ni aux valeurs ni aux idéaux. Que rest-t-il? Winnicott dirait "le vrai self". Jung : "le Soi". Lacan : le réel en deça du sujet. Pour Bouddha il ne reste que l'impermanence et l'impersonnalité du nirvâna lui-même. Et pour moi, plus humblment : une singularité sans dénomination possible, un réel innommable à jamais, et comme chez Pyrrhon, "une chose" - à entendre non comme substance, mais comme processus inconnaissable, sans mesure et sans forme définie, à jamais ouvert, singularité impensable en relations cosmiques avec toutes les autres.

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