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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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25 avril 2008

SIMULACRES et FANTASME

On peut estimer que Lucrèce ébauche une théorie du fantasme dans sa description des simulacres et de ses effets. La pléthore d'images fanataisistes ou fantastiques constituerait le matériau du fantasme, mais sans que le fantasme, comme réalité psychique, ne soit vraiment analysé comme tel. Lucrèce en reste, pour l'essentiel, à la description psychologique, fort pénétrante par ailleurs des "fantasmes "les plus courants et de leurs effets pernicieux. C'est ainsi que nous avons droit à une relecture des mythes effroyables de Prométhée, des Danaïdes, et consorts, tous rapportés, et c'est là qu'est l'originalité de Lucrèce, à une angoisse fondamentale de la mort. On aurait ainsi trois niveaux : symptomatique ( description des simulacres)  - structural ( l'unité par delà la diversité des phénomènes) et enfin généalogique : la cause commune est l'angoisse de la mort. D'où la conclusion clinique : il faut déraciner l'angoisse de la mort pour réduire l"effet nosologique du fantasme. C'est dèjà, avant l'heure, une sorte de psychanalyse de l'angoisse, de la phobie et des états dépressifs. Le point faible de cette théorie, c'est le recours quasi exclusif à la raison comme antidote et tétrapharmacon, selon les indications d 'Epicure lui-même: la mort n'est rien pour nous, les dieux ne sont pas à craindre, le plaisir est facile d'accès, la souffrance peut se supporter. Ces précieuses indications sont malgré tout de peu d'effet face à la puissance de l'imaginaire pathologique. Mais la médecine antique ne pouvait aller plus loin dans l'étude des causes et des remèdes.

Ce qui était important c'était d'introduire une interprétation purement causale des rêves, fantasmes et autres délires. Tout effet a une cause, ou plusieurs entremêlées. Théoriquement le fantasme est explicable par des causes naturelles, ou l'action du clinamen, sans recours à la prestigititation des prêtres. L'amoureux est hanté par les simulacres de sa bien -aimée, l'anxieux par la vision de ses fautes réelles ou imaginaires., la sage contemple en rêve la beauté des dieux. Rien de magique là dedans, rien de surnaturel, puisqu'il n'existe qu'une seule et unique nature universelle.

Ce qui nous fait problème, encore aujourd'hui, c'est la puissance quasi inexplicable du fantasme, au delà des interprétations signifiantes de la psychanalyse classique. Rappelons les faits essentiels. Dans un premier temps Freud entend régulièrement des histoires d'inceste qu'il interprête comme historiquement réels : les patientes auraient subi de fait des attouchements ou des avances sexuelles qui seraient à l'origine de la névrose. Cela correspondrait à la vison "réaliste" de l'épicurisme. En un second temps Freud, impressionné par la monotonie des histoires familiales découvre le caractère universel, redondant, répétitif et quasi inexpugnable du fantasme. La psychanalyse se heurte à un mur :  si le fantasme résiste à toutes les interprétations et semblent mener, au fond du Moi et de ses mirages, une sorte d'existence parallèle et incontrôlable, que faire?  Aucune interprétation ne le touche ni le modifie : le patient semble gelé, après quelques mois ou années d'ananlyse, dans une sorte de répétition sans fin, causée par la permanance de certaines images ou attitudes qui résistent à tout effet de cure. Freud en tire l'idée que l'existence du fantasme correspond à un état structural de l'inconscient, causé par le refoulement, et organisant la vie psychique selon certaines constantes elles aussi inconscientes : par exemple de fantasme de séduction, de castration, de mort imminente etc. L'inconscient organiserait ses chaïnes autour de quelques points névralgiques, à peu près inamovibles. Dès lors comment ne pas sombrer dans l'analyse interminable?

Lacan essaie de renouveler la problématique en supposant que le fantasme n'est pas l'effet d'un refoulement, mais un fait de structure. En entrant dans l'ordre symbolique du langage humain le jeune enfant, par le langage ne peut faire autrement que de consentir à un perte de l'objet initial, pour le mettre à distance en symbolisant es allers-retours. Maman s'en va, maman revient : c'est maman. Le mot vient en quelque sorte représenter, annuler et symbolisser l'absence possible, et la présence, en les plaçant dans la série dorénavant ouverte et infinie des "signifiants", ces mots ou pré-mots, qui vont représenter la chose, celle qui vient et qui part. C'est surtout la perte qu'il s'agit de mâîtriser, en général, plus que  la présence. Quoi qu'il en soit le sujet est dorénavant divisé entre un mot qui le représente ou représente l'objet du désir (dans la mesure où il est nommable) et la "part perdue "de l'objet réellement absent. IL se forme donc un trou, avec, d'une part la chaîne compacte des signifiants qui fonctionnnent et conditionnnent largement la vie  du sujet, surtout dans sa dimension socio-langagière, et un "reste" non symbolisé et non symbolisable, que Lacan, ne pouvant en encun cas le définir, appellera l'objet a . Celui-ci est une étrange réalité psychique, indéfinissable, inanalysable, mais nécessaire en quelsue sorte pour qu'il reste une peu quelque chose de l' "être" du sujet clivé par le langage. Le fantasme serait dès lors une sorte de construction imaginaire qui vise à boucher le trou, à donner une sorte de consistance subjective par le rattachement des deux séries et de leur accrochage  : le langage qui le désigne et qui toujours échoue à le dire complètement et d'auttre part cet "ojet"inaccessible, impossible et réel qui subsiste de l'opération de division. Le fantasme occupe donc une position charnière, à la fois énigmatique, incompréhensible en terme de signification, et pourtant nécessaire en quelque sorte au sujet pour subsister, et lui assurer ce minimum de jouissance sans laquelle la vie est décidément invivable. D'où l'échec de toute tentatived de le déloger, de le supprimer ou de l'amender ( Soit dit en passant c'est là que le bouddhisme lui aussi échoue en croyant pouvoir éteindre le désir passionnel par l'analyse. Même un moine Zen continue à bander la nuit, quoi qu'il fasse, à moins de s'émasculer). Donc, puisqu'on ne peut ni éteindre, ni déplacer, ni analyser, ni interpréter le fantasme il ne reste qu'une solution, si l'on veut encore progresser dans la connaissance et qu'on ne se soit pas suicidé en cours de route, comme cela arrive souvent : "traverser" dit Lacan. Donc laisser être le fantasme en découvrant que le sujet n'est pas contraint de le suivre toujours, sauf par ignorance. Sans cette prise de conscience là le sujet est voué à la répétition des mêmes conduites, - ce qui n'est forcément un mal, il ya de bonnes répétitions - mais il en est de catastrophiques, qu'il vaudrait mieux "contourner" consciemment à défaut de les changer. D'où une autre orientation pour l'analyse : ne pas vouloir changer quoi que ce soit, mais créer un petit espace de liberté pour le "dguide intérieur" , le "daïmon", en encore, en termes lucrétiens, faire un petit écart : le clinamen.

Un point encore . Le fantasme est imaginaire d'un côté, et chacun peut le vérifier dans sa propre et personnelle productivité fantasmatique (ah ces chers fantasmes qu'on voudrait tant réaliser et qui nous glissent entre les doigts !) mais parfaitement "réel" de l'autre. Il faut en effer modifier un peu la conception habituelle du "réel " : le réel du fantasme désigne bien un réel, celui de l'objet qui fut tout pour nous et auquel nous avons dû renoncer pour nous aliéner dans la culture. Cette" Chose" perdue est bien une chose, quelque chose de parfaitement réel, mais dont le statut paradoxal est d'être d'autant plus réel qu'il nous échappe à jamais, bien qu'il eût été touché, palpé, aimé, détesté dans nos relations symbiotiques avec la mère, bien réelle, elle aussi. Le réel perdu vient donc figurer une autre sorte de réel que le réel présent. A croire d'ailleurs que le réel perdu est plus réel que toute réalité qui prétendrait assez naïvement le remplacer. D'où notre insatisfaction congénitale, quasi indéfinie, dont la sagesse s'offre à réduire le tranchant, mais avec un résultat finalement assez maigre. J'ajouterai pour ma part, expérimentalement, que la psychanalyse ne fait pas beaucoup mieux, et que si elle explique bien vos soffrances elle ne vous en libère guère. L'aventure n'en vaut pas la peine. Le prix en est exorbitant, Freud lui-même l'a reconnu quelque part dans sa correspondance.

Reste cet acquis théorique essentiel : le réel n'est pas superposable à la réalité. Epicure voulait nous rassurer par le contact positif avec la réalité, mais il ne pouvait guère soupçonner cet autre réel, à la fois imaginaire dans son contenu, et structurel dans sa forme que nous livre l'analyse du fantasme.

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