Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
Archives
Visiteurs
Depuis la création 1 056 437
27 novembre 2007

L'IMMENSE : mythopoiétique

Un mot me hante ce matin, qui entre en résonnance avec je ne sais quelle émotion très ancienne, archaïque et familière comme tout ce qui touche à cet Autre dont je m'obstine en vain à scruter le mystère. Est-ce une personne chère dont l'ombre me hante comme un double intérieur? Mais je ne sais pas son nom, ni son genre même. Elle est un peu comme ces ours en peluche dont l'enfant ne sait s'il est père ou mère, pére et mère, les deux ensemble, ou encore quelque autre figure indécidable, d'autant plus douce qu'elle n' a pas de vrais contours, et peut-être même pas de visage. L'Immense me hante ce matin, comme les étoiles dans le ciel noir, comme de gigantesques yeux ouverts sur l'infini, qui absorbent en eux la totalité du monde. Les yeux immenses de quelque divinité chtonienne, immense comme le monde! Est-ce la grande Astarté des Anciens, celles pour qui se châtraient les fidèles dans une orgie de sang, de chants et de vin? Mère primitive, génératrice universelle, forme informe d'avant toutes les distinctions, principe neutre de tout ce qui vit et qui respire sous le soleil? L'Immense n' a ni genre ni sexe. Il (elle) ignore toute séparation,toute  délimitation. C'est l'Apeiron d'Anaximandre - le sans limites - c'est La Femelle Obscure de Lao-Tseu. C'est le ça de Groddeck. Mais pour moi c'est l'Immense.

Antérieure à toute délimitation donc indéfinissable. Antérieure au langage même, principe vital d'avant la coupure de la langue. Territoire non territorialisé, no man's land d'avant toute frontière, toute dénomination. Neutre par rapport au genre, a-sexué par rapport au sexe, in-défini par rapport aux signes linguistiques, tiers-exclu par rapport à la logique binaire du sens, tout-englobant par rapport à l'espace, illimité par rapport au temps. Aïon face à Chronos. Chaos d'avant la naissance de Gaïa et d'Ouranos. Pur Eros sans objet, pure affirmation de la puissance illimitée : La Mère, La Femme, la Tombe!

Je ne vois guère que Groddeck, en Occident, pour avoir thématisé ce réel en dehors de la philosophie, pour lui confier la toute puissance et le destin. Pour les Grecs elle est en-deça des dieux mêmes, qui sont figures tardives dans l'archéologie du monde, intermédiaires entre ce qui précède, le Chaos puis le règne de Kronos, et ce qui suit : le rapport signifiant des hommes et des dieux sous la gouverne de Zevs. Bien avant les dieux, et pendanr leur règne encore, la Grande Moïra assigne à toute chose son destin implacable, et avant elle encore, c'est le sans-mesure de l'originaire qui décide de tout. Les dieux eux-mêmes n'échappent pas à la Justice originaire. Et comme dit Héraclite le soleil qui voudrait transgresser les limites du monde Dikè irait le rattrapper pour le ramener à l'orbe commun. Groddeck dira plius familièrement : "Nous sommes vécus par le ça".

Qu'est-ce à dire? Il y aurait une sagesse plus fondamentale que toutes nos sagesses controuvées et sophistiquées : la sagesse du corps, mieux la sagesse des rapports fondamentaux, des forces cosmiques qui nous modèlent, nous traversent et nous emportent. Sagesse sempiternelle, inamovible, indépassable. Sagesse du Grand Fond. De cela nous ne saurons jamais grand chose, nous ne pourrons jamais le verbaliser correctement, mais nous le pressentons aux heures d'ébranlement, d'émotion vraie et d'ivresse. Alors nous nous vivons comme "autres", étrangers à nous-mêmes, et anxieusement familiers. Une telle proximité ne va pas sans risque. C'est la proximité du feu, feu de la terre et du ciel mêlés, feu qui éclaire, mais qui ravage aussi. Celui qui en témoigne au plus près c'est Hölderlin : "Je crois bien qu'Apllon m' a frappé" écrit-il quelques mois avant son effondrement. Toucher à l'originaire sans médiation c'est s'exposer à la folie.

Dans ses derniers hymnes Hölderlin explique que si "Proche/ Et difficile à saisir/le dieu", il est heureusement des médiateurs qui nous permettent de recueillir le feu, non dans nos mains qui brûleraient sur le champ, mais dans notre esprit, sous la forme du Poème, transmis par ceux qui ont assumé le plus grand risque : Héraklès, Dionysos, le Christ, qui tous trois ont été fracassés par cette expérience terrifiante. Les médiateurs nous transmettent leur bonne parole, tracent des routes et font signe, comme Apollon à Delphes. C'est le poète qui a charge de recueillir et de faire connaître dans son chant, la Loi :

" Car le dieu aime

Que sauve soit la parole, et ferme

La Lettre".

Le rapport direct de l'homme à l'originaire est à la fois impossible et dévastateur. Voire la mort d'Empédocle. C'est la leçon de la tragédie attique. Mais l'homme ne peut vivre de vie humaine sans ce rapport madiatisé à l'originaire, d'où il puise force divine et inspiration : c'est le Mystère d'Eleusis, c'est la tradition vivante des oracles, c'est l'enseignement des sages, c'est le récit poétique. Mais quand l'esprit est perdu, ne règnent plus que les soucis de la technique, de l'industrie et du commerce. Alors les dieux agonisent, et avec eux, le savoir indicible de l'originaire.

Ce matin je suis habité par la conscience et l'émotion de l'Immense. C'est la forme sous laquelle le dieu accepte de me parler. Je me suis efforcé de l'entendre comme faisaient les Anciens à Delphes, en présence de la Pythie ivre qui livrait en fureur le message d'Apollon. GK

PS : Je m'aperçois à l'instant que j'ai oublié de signaler que l'Immense c'est ce qui ne se mesure pas - à partir de la position de l'homme, bien entendu. Ce qu'est l'Immense pour soi même nul n'en sait rien, évidemment.

Publicité
Publicité
Commentaires
Newsletter
153 abonnés
Publicité
Derniers commentaires
Publicité