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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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16 novembre 2007

L' HORREUR et l' EFFROI

"Voluptas atque horror" s'écrie Lucrèce en contemplant la vaste Nature des Choses. Pour la volupté on saisit bien l'intuition du poète : quoi de plus beau qu'un coucher de soleil, qu'une mer calme parsemée de voiles blanches sous le ciel céruléen...Mais l'horreur? L'horreur c'est la même mer, mais tourbillonnaire, c'est la vague assassine qui dévore le bateau et l'équipage, c'est le meurtre de l'agneau par le prédateur affamé, c'est l'immensité elle-même, quand elle se déploie par temps clair au dessus de nos têtes, et qu'elle nous arrache un cri de détresse...Oui, Lucrèce, tu as raison, tu as mille fois raison : la nature c'est les deux pôles, c'est le jeu des contraires d' Héraclite, c'est nuit-jour, été-hiver, guerre-paix, vie-mort. L'horreur est comme un double inversé de la volupté la plus haute, et les deux se confondent dans la jouissance.

Voici une image forte : La Méduse, ce visage tourmenté, horrifique qui arrache au malheureux mortel une plainte amère, et ces cheveux hérissés comme des serpents autour de la tête, et cette bouche ouverte qui semble avaler le monde, qui pourrait la regarder sans périr? La Méduse est la pétrification de l'horreur. Une plaie ouverte au fond du coeur, ou du ventre plutôt, que nous portons sans le savoir dans notre psyché. Freud pensait que la Méduse était l'allégorie du sexe féminin, la présentification de la castration qui épouvante le mâle. Je ne le crois pas. Pour moi la Méduse c'est le sexe de la Mère, non de la femme génitale, béant, cannibalique, et la terreur qui s'empare de celui, ou celle, qui regarde, c'est la terreur de l'inceste. Ici il n'est pas spécialement question de l'homme au masculin, mais de l'humain en général qui ne peut advenir à soi que de se détacher définitivement de la mère. Et si vous me poussez dans mes derniers retranchements je déclarerai tout de go que l'inceste mère-fille est beaucoup plus fréquent que l'inceste mère-garçon. Car ici nous ne sommes pas du tout dans l'orbe génital, où joue à fond la différence sexuelle anatomique, mais dans les couches obscures du prégénital archaïque. Ici le problème n'est pas sexuel, mais existentiel : advenir ou ne pas advenir. La Méduse est dès lors la représentation de l'inceste fondamental, maternel, et partant, de la psychose. Symboliquement la vie psychique individualisée prend sa naissance dans un matricide inaugural, comme le montre le suicide de la Sphinge, démystifiée par Oedipe aux portes de Thèbes.

Retour à ce bon Pyrrhon que nous avons laissé aux portes de l'Hadès, face à Perséphone, l'affreuse déesse de la Mort. On pourrait tout aussi bien remplacer Perséphone par la Méduse, ou la Gorgone, ou Baûbo. Ce n'est pas une femme, c'est la Mère incestueuse. Et d'une certaine manière cette Mère-là, c'est la Mort. Aussi parlons-nous de psychose. Ou de mélancolie, si par là nous désignons cette fascination épouvantée qui fige le sujet en statue. Pyrrhon est le sage, non pas parce qu'il aurait franchi l'interdit- il ne pénètre pas dans la grotte des Enfers-  mais parce qu'il se tient dans l'entredeux, entre vie et mort, qu'il a atteint ce point très particulier et infigurable où la vie et la mort se révèlent ensemble dans leur indissociabilité. Il est en quelque sorte le frère en esprit de Tirésias le devin aveugle, qui ayant expérimenté la vie en tant que femme et en tant qu'homme osa déclarer que la jouissance de la femme était dix fois plus intense que celle de l'homme. Cette révélation obscène lui avait valu la cécité. A la différence de Tirésias qui n' avait su se taire, Pyrrhon professera un silence imperturbable sur les ultimes secrets de l'existence : "Rien de trop" - "Pas plus ceci que cela".

Horreur, stupeur, terreur   .. c'est la gamme de l'inceste, de l'interdit fondamental, de l'angoisse de morcellemnt ou de disparition, c'est le figement mélancolique.

L'effroi, contre l'usage, je pense, est tout autre chose, bien plus proche de la sphère sexuelle génitale. C'est peut-être même l'affect de base dans notre relation au sexe, avant que des possibilités de plaisir (voluptas) ne se constituent plus tardivement sous l'égide du Moi. Le sexe c'est d'abord ce qui déchire l'unité conventionnelle et fragile du Moi, lors des premiers émois dits sexuels, qui sont vécus dans une sorte de honte et de calamité internes, de fragilisation extrème en même temps que de jouissance. Avec le sexe c'en est en fini de la surface plane et homogène de l'enfance. Voici l'âge des tourments de la libido, des émois  qui titillent, assaillent, font frémir et pleurer, pâtir et jouir! L'effroi, c'est la marque d'une effraction. Comment ne pas se souvenir que sexe est apparenté à section, sectionner, ce qui donne sexuation, c'est à dire coupure.Dans l'ancienne langue ne disait-on pas "les gens du sexe" pour désigner les femmes, preuve, s'il en fallait encore, que le sexe est féminin, qu'il indique la fêlure, la béance, la fente et le trou? D'ailleurs en latin libido est féminin, comme Lust en allemand. Bref, l'effroi c'est l'effraction de la sexuation. Il ne faudrait pas dire "j'ai un sexe" mais "je suis sexué" comme on dit qu'on est mortel ou désirant. Mode ni actif ni passif, mais moyen.

Ainsi donc il faut distinguer l'effroi génital et l'horreur archaïque, non seulement pour la clarté de la langue, mais pour des raisosn plus profondes qui tiennent à l'étagement de la psyché humaine. IL faut vaincre l'horreur primitive, et les mythes nous enseignent comment : si vous descendez aux Enfers trouvez la plus vite possible un guide pour vous en arracher. Evitez le destin d'Eurydice. Evitez aussi, si possible, le destin de ces Héros qui ont franchi les portes infernales et qui en sont revenus aveugles comme Oedipe et Tirésias. Ne descendez pas hors de la sphère commune, et ne montez pas trop haut non plus : " Rien de trop".  Quant à l'effroi je ne vois pas comment on pourrait l'éviter s'il nous est donné en partage de connaître l'émoi de la sexualité, d'en pâtir beaucoup, d'en jouir un peu, et pour quelques écervelés, d'en mourir. GK

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