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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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11 octobre 2007

Du NEUTRE - pour Myriam en toute amitié

Neutre : ni l'un ni l'autre. Ni le masculin, ni le féminin. Ni l'actif ni le passif. Le latin et le grec, et l'allemand jouissent de l'usage du neutre : to on (l'être) templum (temple) das Weib (la femme). De plus le grec et le latin possédaient une forme ancienne de mode ni actif ni passif mais moyen, dont la trace survit péniblement dans notre langue sous des formes un peu baroques ou barbares, dans les tournures réfléchies comme : je me fais avoir. Le neutre n'est-il qu'une indétermination entre deux pôles opposés? Un balancement? Une hésitation? Une incertitude? Un "surseoir à statuer"? Nous sommes tellement conditionnés par la logique binaire, renforcée encore par l'informatique, que nous avons bien du mal à concevoir une tierce possibilité. La règle du "tiers exclu", depuis la logique aristotélicienne, régente le monde de l'esprit avec une telle prégnance qu'il nous est presque impossible de penser autrement.

Pourtant la pensée du tiers est une nécessité impérative si l'on veut aborder certains aspects du réel, la plupart du temps refoulés, voire clivés ou forclos. Lorsque l'allemand dit "das Kind", l'enfant, on peut y voir une belle intuition, car avant d'être garçon ou fille on est d'abord avant tout un enfant: la question de la différence des sexes se pose bien plus tard, en tout cas pour l'enfant. Fichons lui donc la paix dans ces premières années où le genre n'est pas encore pour lui un problème, il aura tout le temps d'être persécuté par ce fichu schiboleth de la condition humaine. Est-il moins humain de n'être pas encore balafré par cette coupure sanglante qui fait assez largement notre malheur?

Le neutre aurait-il quelque accointance avec le primitif, l'archaïque, le non-différencié? Cela expliquerait en partie la charge d'affects souvent négatifs, voire terrorisants qui s'y rattache. Le neutre bouscule les identités fixes. Il ouvre sur une angoisse très ancienne, celle de n'être pas reconnu par les autres. Et plus profondément peut-être sur un univers fusionnel de participation magique à la grande unité primordiale. L'"océanique" tant redouté de Freud. Et à l'arrière-plan, le monde de Cybèle, la Grande Mère.

Le neutre renverrait donc à la problématique des origines. "Au début était Chaos, la grande Béance, le Grand Trou noir, l'immense et l'indéterminé". Peut-être aussi la Grande Nature universelle, antérieure à toute distinction et différenciation. L'Apeiron d'Anaximandre. Le fond sans fond.

D'entrevoir ces abîmes fait frissonner. Bouche de lumière, et Bouche D'Ombre, pour parler comme Rimbaud. Le grand Ogre, Kronos cannibale et infanticide. La méduse aux mèches hérissées. L'Hydre aux mille têtes, et toute une fantasmagorie d'horreur et de terreur! Au delà, ou en deça du sexe ouvert de Baûbo, le fantôme de Perséphone, déesse des Enfers : l'origine et la mort s'égalisent dans les affres de la désubjectivation.

Nous vivons de refuser l'horreur, autour de nous et en nous. Mais l'abîme ne se ferme jamais tout-à-fait. Parfois montent d'en bas des gémissements et des grognements. Quelqu'un nous appelle. Nous ignorons son nom. Il n' a sans doute pas de nom, lui, l'Ancien d'avant tous les noms. Nous nous détournons et feignons de n'en rien savoir. Le poète est peut-être le seul parmi les mortels à s'en approcher, et comme faisait Pyrrhon aux portes noires de l'Hadès, à séjourner auprès des dieux infernaux, le temps d'apprendre à leur donner un nom.GK

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