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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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24 septembre 2007

DU SUBLIME

Qu'y-t-il au delà du Beau? Schopenhauer répond : le sublime, tout en admettant qu'il puisse y avoir une gradation de l'un à l'autre. Mais dans leur essence les deux notions sont de niveau tout à fait différent. Le Beau reste, pourrait-on dire, à l'échelle humaine. Il satisfait notre désir ( par une sorte de déplacement ascensionnel qui apaise les tensions tout en donnant une prime de plaisir : satisfaction désintéressée disait Kant) et notre intelligence à la fois ( par le plaisir de la contemplation des Formes). "Le Beau est ce qui plaît sans concept" ( Kant) et sans poursuivre de fin particulière. En termes plus psychologiques on pourrait dire que le Beau reste dans l'orbe du moi, et renvoie au Moi une gratification à la fois narcissique et objectale. On admire, on respecte, on aime la beauté, dans les grandes choses et les petites. Tout être normalement constitué n'est-il pas attiré par la beauté? Et l'artiste plus que les autres.

Avec le sublime nous changeons de niveau. Quelques exemples empruntés à Schopenhauer : la lumière est sublime par rapport aux belles choses, car elle dynamise la beauté et lui confère une sorte de majesté supplémentaire. La lumière est le soleil de l'existence. Déjà, dans cet exemple, nous rencontrons la dimension d'élévation, qui se retrouve à tous les degrés du sublime. Sublime d'un ciel immense, sublime de la mer infinie, du ciel étoilé, de la haute montagne, de tout ce qui exède notre pauvre dimension humaine. Sublime du contraste entre l'infiniment petit et l'infiniment grand. Sublime de l'orage, de la mer déchaïnée, du cyclone destructeur, des tempètes, des ouragans, des éléments en furie. Disproportion, élévation, immensité, gigantisme : tout cela ne va pas sans angoisse sitôt que nous oublions de contempler dans le désintéressement pour revenir à la menace qui pèse sur notre petitesse. Cette notation est capitale : angoisse pour le Moi, sublimité dans la pure contemplation de la nature. Notre psychè semble hésiter entre le souci de la conservation et l'extase de l'abandon. Le corps tremble, et l'esprit s'élève aux plus hauts degrés de l'inconcevable! Le sublime ne va peut-être pas sans une secrète terreur tant il nous enseigne l'écart infranchissable entre nous et l'univers. "Voluptas atque horror" s'écrie justement Lucrèce. Et l'on peut ajouter le célébrissime texte de Pascal sur les deux infinis.

Que l'on me permette un modeste développement personnel : le sublime est dans une ralation étroite avec l'expérience du réel, dans la mesure où il fait une sorte d'effraction dans l'unité apparente et contingente du moi, provoquant une sorte de déréalisation ou dépersonnalisation momentanée. Ma fragile identité vacille, mes certitudes sont ébranlées, et surtout, ma suffisance  narcissique bafouée me fait revivre d'anciennes angoisses d'effondrement ou de morcellement. Il y a dans le sublime un coefficient de destructuration que Stendhal avait noté au sujet du syndrome de Florence : trop de beauté à la fois est insupportable. C'est l'expérience d'un excès, d'un "trop" finalement dévastateur si le Moi ne parvient pas bientôt à reconstituer ses enveloppes d'illusion protectrice. Et c'est ainsi que le sublime, étrangement mais nécessairement, côtoie l'horrible et le monstrueux dans cet effondrement général, sauf que l'intelligence fait parfaitement le tri. C'est l'émotionnel qui emporte le jugement, un bref laps de temps, avant que l'intelligence ne resitue l'expérience dans nos catégories mentales. Du sublime nous revenons à la fois interloqués et grandis. Le monstrueux nous accable, nous affaiblit et nous attriste. Deux registres de la "passion" :  celle qui élève, celle qui rabaisse.

Si le sublime est un des accès possible au Réel, une traduction parmi d'autres de cette expérience du contact avec l'irreprésentable, ce n'est peut-être pas le plus pur : le sublime conserve une parenté au beau, du moins dans le vocabulaire de la tradition, ce qui gauchit quelque peu le fait au profit de l'idée. La moralité et la spiritualité y trouvent un peu trop facilement leur compte, au détriment de la pure et dure expérience, qui elle, se passe totalement de concepts. Aussi le sublime reste-t-il-une notion bâtarde, malheureusement, qui obscurcit plus qu'elle ne dévoile l'expérience du Réel. GK

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