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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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14 septembre 2007

METAPHILOSOPHIE DU REEL

 

 

 

METAPHILOSOPHIE DU REEL

Dès ses origines la pensée grecque est partagée entre une tendance « substantialiste » : recherche de l’Etre (to on)et des étants (ta onta)  - Parménide, Platon, Aristote - et une tendance « mobiliste » - Héraclite, Démocrite – qui expecte le mouvement universel, le tourbillon, et les phénomènes. Les uns cherchent le fixe, l’éternel, le substantiel au-delà du mouvement et du devenir (Platon parle du « devenir fou » et de l’impermanence décevante des phénomènes sensibles par opposition aux « formes « éternelles du ciel intelligible) ; les autres sauvent les phénomènes en remarquant que l’intelligible est une construction gratuite et sophistiquée, et que la seule connaissance que nous puissions atteindre réside précisément dans ce réel sensible du changement et de l’écoulement universel. Qu’est ce qui est « réellement »réel, qu’est ce qui est simple apparence et illusion ? – voilà la question qui sous-tend toute la philosophie occidentale.

C’est dans l’opposition de Pyrrhon à Aristote que cette lutte atteint son maximum d’intensité et de clarté. Aristote produit une théorie de l’Etre immobile, cause de tous les étants. L’univers est centré, sensé, finalisé. « La nature ne produit rien en vain ». Ce modèle traversera les siècles et apparaîtra longtemps comme l’évidence métaphysique même. Einstein encore pensera que « Dieu ne joue pas aux dés », formule, remarquons-le, qui prend le contrepied exact de celle d’Héraclite : « le dieu est un enfant qui joue aux dés : royauté d’un enfant ». Pyrrhon radicalise à l’extrême la suspension de l’Etre, et des étants dont la connaissance est impossible. « Tout coule » avait enseigné Héraclite. Chez Pyrrhon il n’y a plus d’Etre substantiel, et même plus d’étants, dans la mesure où ce terme suppose toujours une substantialité inhérente aux objets de la perception ou de la science. Rien ne permet de parler d’un « réel » des étants, s’il n’est nulle part de point fixe, de substance immobile, de réalité stable et connaissable. Aux « étants » de la métaphysique Pyrrhon opposera la mouvance indescriptible des phénomènes, des processus mobiles, interactifs et imprévisibles : les « pragmata » : événements, rencontres, écoulements, intensités indécidables, immaîtrisables, aléatoires : physique quantique avant l’heure, mais sans résultat scientifique, sans application technique, rien qu’une pure contemplation. « Rien n’est plus ceci que cela » : tout s’égalise dans une sorte de non-différence à l’échelle de l’univers. Les « objets »de la connaissance, ces données artificiellement détachées du monde et fossilisées dans leurs définitions, ces concepts dans lesquels l’esprit croyait saisir une essence des étants, éclatent, se pulvérisent sous le froid regard du pyrrhonien, ce « scrutateur » impitoyable du réel.  Ni Etre, ni Non-Etre. Rien que les apparences, qui ne cachent rien, ne renvoient à rien si ce n’est au tourbillon universel insaisissable dont ils composent l’insommable somme. Qu’est ce que le réel ? Ni dieu, ni Providence, ni Logos, ni Substance ni Etre ou non-Etre : le réel, à jamais inconnaissable, in-différent, égal à lui-même, mais dont l’évidence sensible, jubilatoire ou accablante, nous ramène constamment l’épreuve et la preuve.

Moment de stupeur : ainsi donc les Grecs, dans cette souveraine équanimité du Sage, avaient déjà eu l’intuition foudroyante du Réel ? Que reste-t-il des Platon, des Aristote et autres substantialistes après cette foudroyante révélation ? Bien sûr, on s’empressera d’oublier, de dénier, de forclore cette extraordinaire évidence de l’ordinaire pour rebâtir au plus vite les temples, les universités des savoirs et des techniques, brûlant les documents gênants, poursuivant sans relâche les « fourvoyés de la vraie foi », démocritéens, épicuriens, cyrénaïques, pyrrhoniens et autres déviationnistes. Moment de stupeur : cela avait été dit, cela sera à jamais refoulé. Il faut sauver Dieu, l’ordre, la permanence du dogme, et plus tard, la raison et la science.

L’histoire de la philosophie est ainsi l’histoire d’un déni psychotique perpétuellement reconduit. De temps en temps un esprit libre se lève pour renouveler l’inspiration originelle. « Dieu est mort » dit Nietzsche en 1883. Que voulait-il dire ? N’est ce qu’un constat de laïcisation accélérée ? Ou bien s’agit-il de tout autre chose ? On voit bien, en tout cas, que Dieu se recycle régulièrement et que l’esprit religieux se déplace au lieu de reculer. Tout, plutôt que l’insupportable évidence du réel. Nous sommes ainsi faits que nous ne pouvons vivre auprès de la vérité, cette anti-divinité amère, et que l’instinct de vie nous fait préférer les chimères.

Ce n’est pas par vain caprice que je parle de méta-philosophie. Méta, c’est ce qui vient après. Histoire d’une longue erreur, ou plutôt histoire d’une interminable illusion, comme il est des analyses interminables, la philosophie doit être dépassée. Il se trouve heureusement quelques initiateurs dont le message lumineux traverse les nuées. Vérité lumineuse et incendiaire, insupportable et nécessaire. Lucrèce parlait des potions amères qu’il faut bien administrer pour soigner. Dose allopathique ou homéopathique ? Que le bon thérapeute en juge. A chaque patient sa dose optimale. Nietzsche disait que ce qui ne tue pas rend plus fort. Je n’en suis pas si sûr. Il est des allergies au vrai comme il en est aux champignons. Où l’on retrouve la philothérapie. Et Hippocrate, et Epicure, et Lucrèce, et Montaigne, et Schopenhauer, et Nietzsche. Au sens radical la philothérapie c’est la métaphilosophie elle-même. Mais, et ce mais est de taille, il faut souvent enrober le remède de miel et de chocolat si l’on veut avoir une petite chance de soigner. Quant à guérir, qui en décidera ?  Groddeck disait : « le médecin soigne, la nature guérit ». On ne peut soigner celui qui refuse le remède, surtout quant le remède est souvent pire que le mal !

PS Pour celui qui désire approfondir cette réflexion je recommande la lecture de Clément Rosset, au style toujours clair et pur, notamment : "Logique du pire" aux PUF

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