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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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10 septembre 2007

REEL-IMAGINAIRE-SYMBOLIQUE

REEL IMAGINAIRE SYMBOLIQUE

REEL – IMAGINAIRE- SYMBOLIQUE

La pensée classique distinguait simplement l’imaginaire et le réel, dans une opposition binaire un peu fruste. Ainsi Pascal, dans un texte célèbre, distingue-t-il le juge comme personnage impressionnant, tout puissant, dont la perruque est l’effigie, de l’homme réel qui n’est peut-être qu’un pauvre benêt arthritique et cacochyme, cocu de surcroît, et passablement édenté. Soit. Mais l’accusé ne voit que la toge et la perruque et se met à trembler de tous ses membres. On peut ajouter à cette analyse une distinction supplémentaire : la représentation c’est l’imaginaire (la perruque) , mais la fonction est bien définie par un code langagier, le droit écrit qui confère des pouvoirs précis à la fonction-juge, différents de ceux de l’avocat, du procureur ou du greffier. Nous devinons ainsi tout un système complexe d’ordres, de codes, de rôles, de fonctions, de responsabilités qui ne relèvent nullement de l’imaginaire mais qui sont codifiés dans l’ordre symbolique.

Dans la psychothérapie on n’affaire au premier chef qu’à un déroulement hystérique de l’imaginaire : « Mon mari me trompe avec une pouffiasse. Mais qu’est ce qu’il peut bien lui trouver que je n’aurais pas ? » Soit. Mais ou peut aussi s’interroger sur le signifiant « mari » indépendamment des représentations que cette dame s’en fait : peut-être ne supporte-t-elle pas l’état de mariage ? Après tout on voit bien de vieux couples, heureux jusque là, se séparer après être passés devant le maire. Comme quoi le mot a son importance, indépendamment de la chose. Une certaine clinique s’est empressée de s’engouffrer dans cette brèche et d’en oublier le réel.

Mais alors, le réel, c’est quoi ? Observons que si je dis « arbre » je peux me représenter un arbre particulier (image) ou définir le concept général de l’arbre, comme catégorie botanique (signifiant). Et tout cela en l’absence de tout arbre dans mon champ de vision : le langage présentifie l’absence, ce qui permet d’innombrables opérations mentales fort efficaces ? ( Science, technique, plan, calcul etc)  Nous vivons tellement dans le symbolique (langage, signalisations diverses, codes, emblèmes, drapeaux, idéologies, valeurs etc) que nous en oublions le réel. Notre esprit est devenu une gigantesque araignée d’images et de symboles qui fonctionnent de manière quasi indépendante de toute référence à la réalité. On encore ; on pourrait dire que pour l’homme la réalité c’est la construction mentale, complexe et quasi indémêlable des images et des symboles, toile si serrée qu’il en oublie de voir les « choses » en elles mêmes (Là-dessus lire Bergson et sa critique du langage)

Mais alors, si la réalité est presque entièrement psychique, où est le réel ? Ici il faut rendre justice à Lacan d’avoir soulevé le lièvre. Bous croyons être dans le réel, nous sommes en fait dans une pseudo-réalité tissée de représentations collectives, d’illusions et de fantasmes qui nous dissimulent le Réel. La première définition du réel ce serait de dire : ce qui ne nous apparaît pas. Ou si rarement, ou si brusquement, ce qui est presque du registre de l’absence, du non-pensé, et peut-être du non-pensable. Quelque chose qui ne se révèle que comme effraction dans l’ordre commode et coutumier du Moi. Une déchirure dans la représentation. Avant l’événement cela semblait impossible, irreprésentable, et tous mes efforts pour l’imaginer ne pouvaient paradoxalement en rendre la représentation adéquate. Ce qui arrive, c’est autre chose, et quand cela arrive on s’aperçoit qu’en dépit de nos protestations on le tenait pour impossible. « Le réel, c’est l’impossible » déclare Lacan, ce qui n’est vrai qu’à demi puisque justement si ça arrive c’est que c’était possible, mais tout se passe comme si nous le tenions pour impossible. Exemple. Avant le 11 sept personne ne croyait en un effondrement possible des tours. Pourtant des jeux vidéo mettaient la catastrophe en scène. C’était un jeu et nul n’y croyait. C’était impossible. Et pourtant l’événement s’étant produit, il devenait rétrospectivement possible !  Voilà en quoi le réel c’est l’impossible : je ne peux vraiment l’anticiper même si je sais que c’est possible, voir inéluctable. Je « sais » que je vais mourir. Mais en qo=uoi ce « savoir » a-t-il une quelconque efficace ? La Cia « savait » l’agression possible, mais la tenait pour impossible. De même le mourant sait qu’il va mourir, et pourtant c’est impossible parce qu’il est impossible de se représenter sa propre mort (Si je me la représente je suis nécessairement vivant pour en produire le scénario dans mon esprit). Donc la mort de soi est inimaginable, irreprésentable sauf à prendre le fantasme pour du réel, ce qui est proprement psychotique !

C’est là, je crois, l’apport le plus intéressant de Freud d’abord ( dans une autre terminologie) et de Lacan surtout, et d’une manière générale de la psychanalyse, qui nous met en quelque sorte devant le désagréable, l’insupportable et le Tout Autre, mais dans un langage non dogmatique ni mystique. Le réel ce n’est pas quelque fantaisie de moine illuminé, c’est ce qui nous échappe, et qui pour autant n’en pas moins la plus forte des existences. Je penserai toujours au décès de mon beau père et de l’émotion qui m’étreignit alors : un homme était là, il parlait encore un peu, gémissait vaguement, les yeux à demi clos. Il demande qu’on veuille bien le déplacer un petit peu vers la gauche pour soulager son dos. On le tire doucement. Un râle. Il est mort. Ce fut si rapide, si imprévisible ! Il y avait quelqu’un, il n’y a plus personne. Un cadavre. Une dépouille. Plus aucun souffle. Plus un mouvement. Que s’est-il passé ? On dira qu’il est mort. Mais ça veut dire quoi ? Nul n’a rien vu, D’une certaine manière il ne s’est rien passé : ni action ni passion, rien. Mais tout est différent. On dira que la mort est passée. Mais qui l’a vue ? Et passée où ?  Quand ? Comment ? Rien ne peut rendre compte de cet événement absolument hors langage, hors concept, hors symbolisation. Du réel pur. Dévastateur, terrible. « Jeder Engel ist schrecklich » .

Voilà pourquoi le réel est souvent de l’ordre du trauma, et donne lieu à ces interminables répétitions des victimes de guerre, des accidentés, des violés, fracturés du destin ou de la haine. Le langage répète, répète encore, et rien n’y fait : ce qui s’est passé est inépuisable dans son coefficient d’ impossible. Mais il est aussi « des traumas du bonheur », telle cette femme de Sparte qui croyant son fils mort à la guerre s’effondre inanimée en le voyant paraître à ses yeux ! Ou tel chanceux des jeux télévisés qui se suicide au bout de quelques jours ! Dans tous ces cas, heureux ou malheureux, c’est un certain degré de violence, d’imprévisibilité, d’effraction qui fait sauter l’homéostasie du moi et provoque l’effondrement. D’où ma thèse du Deux que j’ ai annoncée hier dans le précédent article.

Je vais tenter de préciser. La psychè se construit autour d’un noyau central, dont nous commençons à connaître les éléments : un moi harmonique ou éclaté, une illusion fondamentale nécessaire mais labile et fragile, l’introjection de bons objets et le rejet plus ou moins réussi des mauvais, clivage défensif, déni de l’insupportable. D’une certaine manière le moi se construit sur le refus, le clivage, la forclusion : déni de l’insupportable, clivage des objets persécuteurs, idéalisation réactionnelle, adaptation restreinte, construction d’une « réalité » qui n’est jamais qu’une collection d’images. Je suis ce qui reste quand j’ai écarté tout ce que je ne peux supporter, voilà la formule de ce quon appelle une structure psychique. Il est dès lors absolument évident que le réel c’est précisément ce qui n’a pas été apprivoisé, domestiqué dans la sphère du Moi. Le hors-moi qui me mettra hors de moi, justement ! Et dont je ne sais rien puisque je ne veux rien en savoir ! Et j’ajoute même, quitte à scandaliser, que cela ne peut se passer autrement ! Tout psychisme se construit sur un déni préalable.

Dès lors on comprend mieux pourquoi la psychothérapie est si peu efficace. On remanie l’imaginaire, fort bien. On acclimate le sujet à la Loi, à l’ordre symbolique, au langage, au social. On réorganise plus ou moins la dynamique des pulsions. On conforte, on rassure, on éduque. Cela marche quelquefois, heureusement. Mais combien de ratages ? Et pourquoi ? Mon généraliste avait une explication simple pour expliquer les échecs de la médecine et de la pharmacopée : « C’est le diable » ! Eh bien, je suis d’accord ! A condition de préciser que le diable est une des figures possibles du réel !

Et pourtant rien de mystérieux, de mystique, d’occulte et de surnaturel dans tout cela ! Le réel, tout fibromyalgique, tout dépressif chronique, tout psychosomatique en témoignera, c’est le fait que la douleur ne recule ni devant les médicaments, ni l’interprétation, ni la psychothérapie, ni le radiesthésiste, le rebouteux ou le saint pontife en personne ! On invoquera une résistance symbolique, ou la complaisance ou la jouissance paradoxale du souffrant amoureux de sa souffrance. Parlez tant que vous voulez ! Il y a aura de ci de là quelque aménagement superficiel, mais quant au fond rien ne bouge !

Je ne sais si on peut créer une clinique du réel. Je ne sais quelle dose de réel – et de vérité par conséquent- l’humain peut supporter. Mais l’histoire interminable des guerres, des désastres, des massacres et des pogroms semble indiquer que cette dose est fort limitée. Tout ce que l’homme a appris à faire, et c’est beaucoup, c’est de réagir dans l’après coup. Espérons que le prochain « coup » - je pense à la situation planétaire- ne nous aura pas détruit prématurément ! GK

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