Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
Archives
Visiteurs
Depuis la création 1 054 816
20 juin 2007

Du corps

Je me suis expliqué plusiers fois, et parfois avec véhémence, avec certains psychanalystes, surtout lacaniens pour les nommer, dont j'ai vertement critiqué l'idéologie anti-corporelle. C'est à croire, à les entendre, que le "signifiant" commande toute la vie, au mépris des évidences les plus criantes. Il faut être immergé dans un dogmatisme sectaire pour ne pas se rebuffer devant certaines allégations proprement ridicules comme celle-ci, de Françoise Dolto, paix à son âme : " Tout est langage" Ou, de lacan : "le sujet est un signifiant pour un autre signifiant" ou: ' "L 'inconscient est structuré comme un langage". Tout cela sent le jésuite à mille lieues, le christianisme paulinien, et le platonisme ascétique.

Revenons plutôt à la phrase de Spinoza : "Nous ne savons pas ce que peut un corps". Nietzsche approfondira cette question en remarquant que ce qui fait la pathologie humaine c'est qu'un corps peut être séparé de ce qu'il peut, en d'autres termes que le corps, dans sa puissance initiale d'exister, se voit contraint, corseté, mutilé par toutes sortes de forces adverses et étrangères qui le privent de fait de l'expression naturelle de sa puissance: violence d'autrui, répression des instincts vitaux, culpabilisation de la force érotique, passions tristes entretenues par les dévots et les prêtres, émotions négatives, exigences culturelles démesurées ou stupides, sottise des idéologogies, religions mortuaires ou thanatogènes, impérialisme d'Etat, traditions exsangues mais oppressives, et l'intériorisation funeste de tous les commandements de la haine, du ressentiment et de la honte. Le premier Freud, celui qui découvre et théorise la nature des pulsions ne dira pas autre chose, mais il expliquera mieux d'où viennent ces terribles exigences, et le prix exorbitant que le sujet paie pour avoir droit de cité dans la société. C'est bien lui qui découvre le Surmoi ( instance d'origine sociale et parentale qui indroduit dans l'inconscient du sujet les interdictions, prescriptions et recommandations culturelles) et qui s'étonne de sa funeste puissance répressive, à croire que le sujet intériorise mieux le Surmoi parental que le moi réel de ses parents.

La grande leçon de ce jeune Freud ( par opposition à un Freud plus tardif, assez conventionnel et bourgeois, avouons-le) c'est que la pulsion est d'origine somatique. C'est bien dans le corps qu'il faut chercher l'énergie pulsionnelle, la source absolue de toute puissance de vie. Etouffez le corps, et vous ne serez plus indisposé par vos désirs sexuels. On sait bien que c'est la recette de l'ascétisme: abstinence de nourriture, mortifications, jeûnes interminables, macérations morbides et au bout de quelque temps vous serez si amorphes que votre corps vous apparaîtra comme une charogne. Notons que dans la mélancolie ceci se passe pour ainsi dire de soi même: le sujet, ayant intériorisé la faute, la culpabilité et le remords sans cause se laisse mourir, ou se suicide. On retrouve la fameuse acédie des moines, forme déguisée et vénérable de masochisme généralisé.

La source de la pulsion, c'est le corps. Quel corps? Eh bien avant tout le corps des organes, des muscles,  des nerfs, du coeur, des poumons, de la bouche, de l'estomac , bref le corps anatomique et physiologique. La santé c'est aussi un régime de la pulsion, et pas seulement du besoin. Et puis ce corps sera progressivement érotisé par les soins corporels, par une bouche maternelle, une main maternelle, une voix, une chaleur, une présence d'un corps bien réel, celui de la mère. Il faudra attendre les travaux de Winnicott pour qu'on s'aperçoive à nouveau que le petit homme est d'abord une chair palpitante et désirante entre les mains palpitantes et désirantes d'une mère! Winnicott découvre la nécessité du handling ( le toucher manuel, la tenue du corps, la maintenance d'un organisme vivant et sentant) puis du holding ( le balancement, le bercement, les stimulations multiples de la peau, cet organe hypersensible, véritable prolongement initial du cerveau, de la voix, des zones érogènes, bouche, pénis ou lèvres, anus, yeux, oreilles, nez, cuir chevelu, et finalement la totalité du corps comme surface d'enregistrement sensoriel, de protection, d'échanges vivant et palpitant. privez un enfant de tout ceci, vous fabriquez un monstre, comme on le voit dans le roman de Süsskind : Le Parfum. Ou alors un phobique, un abandonnique, un borderline. (Voir mon livre sur Editions: philosophie du borderline, publié par fragments dans ce blog). Ainsi se forme une conjonction primitive du corps anatomique-physiologique et du corps de plaisir (pulsionnel) Et nous voyons que c'est largement l'oeuvre de la mère, cette première et inoubliable amante, dont le sourire hante les rêves de certains artistes, comme Léonard pour Mona Lisa! N'oublions pas pour autant cet"autre sans seins" qu'est le père ou le compagnon, et dont l'action affective et symbolique détermine en partie l'attitude maternelle.

Le corps: source de la pulsion. Mais aussi objet de la pulsion, sous forme de "pulsions partielles" , par exemple le suçotement buccal du nourrisson qui isole une zone pulsionnelle et y trouve une évidente satisfaction. Les zones érogènes, ouvertes et sensibilisées par l'action maternelle, vont devenir une à une des zones de plaisir auto-érotique, dans une sorte de masturbation primitive, plaisir d'organes, auquel l'enfant renoncera très diffilement, voir pas du tout. Qui n' a rencontré des suçoteurs très agés, ne serait-ce que sous la forme de cette tétine tardive qu'est la bouteille ou le mégot. Origine de l'alcoolisme, du tabagisme, des addictions orales? Ou anales? Ou péniennes, ou vaginales, ou clitoridiennes? ou mamaires, et tout ce qu'on voudra, des petits pieds bandés aux "aborigènes à plateaux". Du corps part la pulsion, au corps elle revient, stimulant interminablement des zones privilégiées, y creusant un sillon de plaisir plus cher que la vie peut-être.

La pulsion décrit une courbe. Elle vient du corps, elle retourne au corps. Est-ce le même corps? Evidemment, et pas du tout. Le corps source est un corps de désir. Le corps-objet est une source de satisfactiion. Entre les deux un trajet, pulsionnel précisément. Et c'est dans ce trajet que se produit l'action culturelle, l'intervention du langage. "Ne suce plus ce vilain pouce si tu veux grandir" ou " C'est vilain pour un garçon de pleurer comme une fille" ou encore : "La masturbation rend sourd, aveugle, impuissant et condamne au feu éternel de l'enfer!". Que n' a-t-on inventé pour détourner la pulsion de sa marche naturelle, la brider, la briser, la retourner contre elle même, en fabriquant les conditions idéales de la pathologie. Par ex ce Schreber, célèbre pédagogue du XIX, qui recommande aux parents de ficeler l'enfant pour la nuit, afin de lui éviter des attouchements coupables. L'histoire de la répression sexuelle est édifiante, plus édifiante que l'histoire des rois de France!

On dira, évidemment, que certains interdits sont indispensables. certainement. Mais à quel âge?  Et surtout, selon quelle logique, au service de quelle force culturelle? J'ai connu les forces réactives et culpabilisantes du christianisme d'Eglise. Avant de dormir il fallait se poser cette question: "Suis-je en état de péché mortel? Si oui, en dormant je peux mourir, et me retrouver en Enfer pour expier mes péchés de chair'"; Vous imaginez ce que cela produit au bout de treize ou quarante ans? Cela dit, certaines idéologies contemporaines ne valent pas mieux. Et je crois subodorer dans l'idéologie actuelle des relents de jésuitisme moral, d'ascétisme morbide déplacé sur la scène économique. Idéologie universelle du travail, de la rentabilité, du productivisme aveugle qui ne sont que d'autres formes de répression sociale. Même la psychiatrie se déshumanise irréversiblement vers un étiquetage impitoyable des pathologies, une morale de reprise de traval avant tout, un glissement sournois vers la normopathie générale. Michel Foucault, réveillez-nous!

On objectera peut-être que l'heure n'est pas au divertissement. L'a-t-elle jamais été? J'ai assez vécu pour pouvoir comparer plusieurs époques entre la dernière guerre et la globalisation actuelle. J'ai cru, jeune, que ce monde pouvait être moins ennuyeux, moins triste et débile. C'est tout le contraire qui se passe. Dans nos sociétés on confond le corps avec l'image du corps. Tout est récupéré en termes d'images: minceur, hygiénisme, opérations de chirurgie esthétique, dressage impitoyable des  silhouettes et des attitudes, obsession de la beauté frelatée, désincarnée, hygiénisée, anémiée, anorectique du top-modèle, alors que la sexualité, tant vantée et débridée, parâît-il, s'exhibe dans une indifférence croissante. Trop d'images. trop de cérébralité, de "machine à jouir" quand les corps s'épuisent et se taisent, hors les grognements et les bogborygmes de la souffrance commune, dont on ne sait plus si c'est celle des âmes ou des corps! Ce qui est sûr par contre, c'est que les cabinets des psychiatres sont pleins, les HP surchargés et inaptes à traiter, que les prisons recèlent plus de psychotiques que de criminels, et que tout va pour le mieux madame la marquise!

Petite énigme pour finir (ou ne pas finir) : Voici quatre propositions. Laquelle préférez-vous?

Travailler plus pour gagner plus

Travailler plus pour gagner moins

travailler moins pour gagner plus

travailler moins pour gagner moins

 

Décidément le travail est la meilleure police. Le drame c'est que peu de gens peuvent vivre sans travailler. Mais aussi, pourquoi penser qu'il n'est pas d'autres formes d'activité que le travail? 

Publicité
Publicité
Commentaires
Newsletter
155 abonnés
Publicité
Derniers commentaires
Publicité