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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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15 juin 2007

Insatisfaction II

Insatisfaction II

Peut-être trouvera-t-on ma conclusion un peu raide. Mais ce ne sont pas les gens qui souffrent que je vise. Autant dire que je m’en prendrais à l’humanité entière.  Non, je vise les bonimenteurs, les marchands d’illusion, les fornicateurs de l’idéal, tous ceux qui promettent je ne sais quel bonheur à venir.

Il en est de deux sortes. D’abord les fondateurs de religion qui vous promettent la béatitude. Constatant que la félicité terrestre était plus qu’improbable ils ont inventé un arrière-monde, une vie d’après la vie qui compenserait enfin les insatisfactions de la vie présente. Freud avait brillamment décliné les désirs insatisfaits que la vie éternelle était censée réaliser, au prix fort, évidemment, d’une croyance inconditionnelle dans un dieu salvateur et justicier. Désir de Providence : dieu dans sa magnanimité prendrait en compte le malheur de chacun et réparerait les injustices dans l’au-delà. Le méchant serait enfin puni, et l’agneau restauré. Désir de justice donc. De plus les justes seraient assurés de la gloire du Très Haut pendant que les puissants, les mécréants, les infâmes pourriraient interminablement en enfer. Dieu garant de la morale. Et enfin, dieu garant de la vérité ; ce que nous ne pouvons comprendre nous serait révélé dans l’au-delà. C’est donc tout bénèf : croyez et vous serez sauvés. (voir le pari de Pascal). C’est un bon calcul. Qu’avez-vous à perdre ? La vie misérable que nous menons tous est comme illuminée, sanctifiée, rachetée de l’intérieur. Rien à perdre, sauf le jugement, le désir de vérité, la liberté de choix, l’autonomie. Quant à ceux qui font obstacle à la lumière transcendante un bon bûcher les lavera de leurs péchés.

L’autre famille est celle des idéologues qui remplacent le bonheur promis dans l’au-delà, auquel ils ne croient plus, par la promesse d’une parousie sur terre, pour les générations à venir. Il suffit de bien travailler, d’obéir sans réserve ni critique, et les portes du paradis terrestre s’ouvriront devant nous. L’espérance idéologique remplace avantageusement l’espérance religieuse, mais, comme par hasard, au prix d’un holocauste sanglant. Combien de mélancoliques, de libertins, de sorcières brûlés par l’Inquisition ? Et combien de mal-pensants dans les camps de la mort et les goulags ?  Etrange connivence des fous de dieu et des fous du progrès.

Nietzsche remarquait que si dieu était mort la nouvelle de cette mort était loin d’être connue et reconnue. Dieu refleurit interminablement sous d’autres oripeaux, mais quant au fond c’est toujours la même chanson : l’espoir, l’espoir, l’espoir. Pour moi la chose est entendue : où est dieu règne la pulsion de mort. Pourquoi ? Parce que dieu est unique (credo in unum deum) et que dès lors toute incroyance est automatiquement une contestation. Dès qu’une église a le pouvoir c’est la famine, les bûchers, la haine, le refus de l’autre, l’intolérance et la sottise meurtrière. Mais de cela je ne parlerai plus. Pour moi la chose est entendue. Les Bouddhistes, qui nient l’existence d’un dieu créateur n’ont jamais incendié personne. Quant aux Grecs, s’ils condamnaient tel incroyant, c’est pour des raisons politiques plus que religieuses. Chaque cité avait son dieu tutélaire. Le contester était porter atteinte à la souveraineté publique. Ce n’est évidemment pas une excuse. Fichons la paix à tous ceux qui pensent, croient, espèrent autrement. Vous voulez croire ? Eh bien croyez, mais fichez la paix à ceux qui ne croient pas.

Les querelles d’opinion sont inutiles. Les croyances s’enracinent dans un terreau inconscient si profond qu’il est vain de songer à les déraciner. Le raisonnement adverse les renforce. La persécution leur donne une aura de sainteté. Ne combattez pas les croyances. Ignorez-les ! Et passez votre chemin. Sur certains sujets il est inutile et pernicieux de discuter. Sur ce point prenez l’exemple de Bouddha. Quand la question l’irrite il se tait.

Revenons au sujet. Pas d’espoir du côté des religions. Pas d’espoir du côté des idéologies . Cela revient à dire : pas d’espoir du tout, car tout espoir est d’essence irrationnelle, enraciné dans l’inconscient, suppôt du fantasme, voire du délire. On dira : ce que vous dites est intéressant, mais moi je ne peux vivre sans espoir. Cela serait vrai si la vie ne secrétait automatiquement de la croyance , de l’adhésion, de la conviction, de la foi. Rien à craindre de ce côté-là. Vous vivez donc vous croyez. Faut-il donc cesser de vivre pour cesser de croire ? C’est mal poser le problème. Le choix n’est pas entre croire et ne pas croire. Le choix est entre se laisser guider par les croyances, ou de pratiquer un juste raisonnement sur la nature, l’origine et la cessation des croyances. Là encore Bouddha est un maître extraordinaire. Mais on trouve aussi chez nous d’augustes modèles. Voyez Montaigne : « que sais-je ? ». Il ne dit même plus, comme Socrate, « je sais que ne sais rien » . C’est encore trop savoir. Il dit « Que sais-je ? » et laisse la réponse en suspens, à supposer que réponse il y ait.

Nous en venons tout naturellement à notre indépassable Pyrrhon. Que dit Pyrrhon ? la réponse est si ahurissante que j’ose à peine la formuler. Et j’admire qu’un tel homme ait pu exister en terre occidentale. Mais il vrai qu’il a suivi Alexandre jusqu’en Inde, et qu’il y a été initié à la sagesse des « gymnosophistes », les sages vêtus de vent . Il a été transporté par l’extraordinaire puissance de réserve et de retrait de ces yogins qui n’hésitaient à se faire calciner tout vif s’ils estimaient que la chose fût nécessaire : Kalanos allumant, devant l’armée d’Alexandre ébahie, le bûcher où il mourra sans un cri et sans une plainte.

Que dit Pyrrhon ? Pratiquons une « épochè », c'est-à-dire, une suspension du jugement. Nous souffrons de nos opinions toutes faites, de nos préjugés, de nos certitudes, de nos espoirs et de nos craintes. Seul remède : se retirer dans une juste méditation, voir de loin, ne plus adhérer, cesser de s’alarmer ou de s’enthousiasmer pour des futilités passagères. Qui aura le prix Nobel, ou le César du meilleur acteur ? Soit, mais dans deux mois, que dis-je, dans deux jours, qui s’en souciera ? Je vois passer les célébrités, les vedettes, les stars , les hommes d’Etat, les ministres, les papes, les PDG, les syndicalistes et les reporters. Gloire un jour, oubli pour toujours. Qu’est ce qui vaut que je remue le petit doigt ? Y a –t-il cause qui vaille, parti juste, Etat démocratique, paix durable ? Tout passe, tout lasse. Tout casse. Inanité. Vacuité. « Poussière, tout retourne en poussière ». Impermanence dirait Bouddha. Vanité dit l’Ecclésiaste. Fugitivité dira Freud. Et Montaigne, pour finir : « la branloire pérenne ». GK

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