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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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13 juin 2007

sentiments

sentiments

Sentiments

« Gefühl ist alles » Fait dire Goethe à son héros Tasso dans la pièce du même nom.  Exaltation romantique de la sphère subjective. Lacan déclarera quant à lui, plus férocement « Le senti - ment ». Mais en quoi mentirait-il ?

Pour y voir plus clair il faut nettement distinguer passion et sentiment. De la passion nous avons ici abondamment parlé. La psychanalyse en rajoutera encore sur la condamnation : la passion s’opposerait à l’amour véritable comme le prégénital au génital. Passion égale attachement infantile aux premiers objets, maternels ou paternels, régression ou du moins fixation au passé, revécu le plus souvent sous forme de transfert, comme cela se vérifie dans la cure. Je crois aimer un nouvel objet mais dans cet objet je ne fais que projeter mes fixations anciennes, mes fantasmes inconscients, mes attentes déçues, mes espoirs de satisfaction. Et l’analyste est supposé apporter tout cela ! Quelle désillusion ! Et dans cette désillusion la passion révèle son essence : attachement précoce, immaturité psychique, nostalgie du passé, désir de retour, dépendance anaclitique, addiction et idéalisation, avec son revers inévitable : l’agressivité. On parlera fort justement de « haine-amoration »

Je voudrais quant à moi revaloriser le sentiment, à condition de bien faire la différence, qui recoupe au fond celle que je faisais entre jouissance et plaisir. La jouissance est l’horizon inaccessible de la passion : infinitude, illimité, « opinion creuse ». Le plaisir, dans l’orbe du moi, correspond assez bien au régime du sentiment, limité, déplaçable, flexible, plastique, en relation plutôt paisible avec le moi, et l’intelligence.

Les Anciens se défiaient de l’amour (comme amour-passion, considérée comme une pathologie) au bénéfice de l’amitié, vertu virile par excellence, accomplissement de la sagesse. Parce que la sagesse n’est pas solitaire. Elle est relation, à l’autre, au dieu, au cosmos. Philosophia c’est d’abord philia , amitié. Le philosophe est certes l’ami du vrai (et non un passionné du vrai qui se fait justicier universel) mais plus encore l’ami de l’ami, du philosophe proche, du prochain, du semblable, de celui qui partage avec moi les aléas de la dive fortune. Amis de la Sophia : la belle connaissance , la belle pratique , le « beau et bien » pour parler comme les Athéniens. La sagesse est sentiment et pas seulement raison. Et que serait une raison sans sentiment ? Songeons à ce malheureux Kant se levant chaque matin, hiver comme été, à heure fixe, marchant songeur vers l’université, ruminant son cours. Les gens qui le voient passer règlent leur montre : le philosophe de Koenigsberg n’est jamais en retard, sauf quand éclate la révolution française, et que Rousseau fait paraître l’Emile. Kant lui-même s’avoue quelque peu « mélancolique ». Depuis l’enfance il a décrété avec tristesse que le bonheur n’était pas pour lui, et que dans le meilleur des cas il pourrait atteindre une sorte de contentement moral « qui n’est pas le bonheur, qui n’en est même pas la plus petite partie » (je cite). C’est trop cher payer le contentement moral.

Amour-sentiment. Mais aussi la compassion, le respect, l’admiration, le dévouement, la sympathie, l’empathie, la charité, la magnanimité, ou l’aversion – car quoi qu’on fasse, quel homme peut se prétendre inaccessible à l’aversion ? Et puis tous ces sentiments envers soi-même : amour de soi( légitime et nécessaire) estime de soi, pudeur, honneur, dignité, et compassion aussi, et respect et parfois, hélas, dégoût, mesestime , orgueil, vanité, présomption – toute la sphère de l’objet et toute la sphère du moi. Quelle richesse dans les sentiments ! Que de nuances, de figures, de variété, de fluidité, d’inconstance et de changement ! Toute la palette de la vie !

Loin de nous ce rationalisme étriqué, pantouflard, racorni et arthrosique dont l’université se prévaut ! A cette école comment ne pas se pâmer d’ennui, et d’ennuitement ? « Vivez si m’en croyez ! N’attendez à demain ! Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie ! »

Revalorisons le sentiment. Ment-il ? Sans doute, un peu. Nous nous mentons tous, un peu, ou beaucoup. Mais où voit-on qu’il faille être tout uniment véraces, authentiques, transparents ? Cela serait un peu louche. La philosophie, et les philosophes ont bien des défauts. Mais quand on sonde un peu on retrouve toujours la glèbe, et sous la rose sublime, le fumier.

Aussi : étudions de près la vie  des philosophes, et pas seulement leurs écrits. Dans un écrit on parade souvent, et malgré soi. Dans la vie on triche, mais cela finit toujours par se voir. Montaigne disait : « C’est à l’ordinaire que l’on voit son homme ». La philosophie, comme toute chose au monde est incarnée.  GK

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