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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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8 juin 2007

Des QUATRE PILIERS de la SAGESSE ( BORDERLINE suite)

 

CHAPITRE SIX

 

 

 

DES QUATRE PILIERS DE LA SAGESSE

 

 

 

 

 

I

 

 

 

 

 

Iconoclaste ! Voilà ce qu’il me reste à devenir si je veux parvenir un jour à quelque authentique rapport avec moi-même. J’ai cru qu’il suffisait d’émanciper son esprit, et c’est bien là l’illusion commune des philosophes, qui oublient trop volontiers leur incarnation, le cœur et la tripe, et l’ordinaire inféodation aux données physiques et sociales. Faisons notre révolution culturelle, fort bien. Mais ne négligeons pas l’infrastructure ! Après tout, notre organisme est le résultat synthétique de milliards d’années d’évolution, un raccourci de l’histoire , un condensé de la vie universelle. En nous cohabitent le cancrelat, la mygale, le poisson et l’australopithèque ! Homo sapiens, homo demens. Nous côtoyons l’invertébré, nous pataugeons dans la bourbe et la fange, nous ruminons avec les ruminants, tuons comme les carnassiers, nous nous agglutinons comme les fourmis, et par l’esprit seul, que nous croyons sublime, nous nous élevons à la splendeur vide du firmament. Inutile, ici, de répéter les sagaces réticences de Montaigne.

 

Je me suis laissé aller, moi aussi, à une espèce d’idolâtrie un peu sotte de la sagesse, comme s’il suffisait de bien penser pour égaler les sages. Mais ces gens-là étaient d’abord des hommes de chair et de sang ! Si nous espérons retrouver la vérité de leur être et de leur pensée il nous d’abord saccager sans pitié l’image idéalisée que nous en avons forgée pour notre propre usage, et qui n’est qu’une projection de nos désirs. Ainsi de Socrate, d’Epicure ou de Pyrrhon, dont nous construisons de magnifiques statues sans rien savoir de leur existence intime et secrète. Je crains fort qu’au bout du compte il ne nous reste rien à révérer, ce qui, après tout, est tout bénéfice pour notre liberté. Il faut conduire la désacralisation jusqu’à son terme, et des dieux et des hommes et des enseignements, pour éprouver dans le vif notre dénuement, et la puissance de notre invention.

 

Car il s’agit bien d’invention, et non de découverte. La vérité n’est écrite nulle part, et ne saurait donc se retrouver dans un laborieux travail de décryptage religieux. C’est en ce point que se séparent les dévots et les inventeurs. Parler de retrouver la vérité c’est tenir la vérité comme déjà là, bien que cachée, c’est initier une démarche de retrouvailles, c’est finalement renouer avec les mythes de la réincarnation, comme Platon d’ailleurs le fait clairement entendre dans son Phédon. A l’inverse poser la vérité comme une épreuve du vide, c’est ruiner à jamais toute idéologie religieuse, c’est renvoyer l’homme à sa nécessaire inconnaissance et à sa liberté créatrice. Je m’aperçois humblement que je n’ai fait que la moitié du chemin.

 

En d’autres termes : jusqu’à quand aurai-je besoin d’un père tout puissant qui trace pour moi la route, qui guide mes pas et me rassure sur le chemin accompli ? Il faut parvenir à un niveau de pensée où toute référence à autrui devient parfaitement inutile, non que l’on prétende tout savoir par soi, mais parce qu’on se sent la force et le désir de tout expérimenter pour se forger ses propres convictions, sans garantie autre que l’authenticité et la sincérité absolues de la recherche.. Si quelque chose vaut, que cela vaille absolument pour soi. Si quelque vérité s’établit, que ce soit au terme d’un processus radicalement personnel. Il ne peut y avoir de garantie dans ce monde, et si l’on veut éviter l’écueil du nihilisme absolu il n’est d’autre solution que de s’autoriser de soi-même.

 

Entendons-nous : il ne s’agit pas de rétablir quelque narcissisme primaire et autistique. Toutes les pensées sont les bienvenues, mais elles ne prennent valeur et sens que de l’examen auquel je les soumets. J’aime la théorie du vouloir-vivre de Schopenhauer parce qu’elle me parle, me réveille et me stimule. Je l’éprouve comme vraie en quelque sorte dans mes tripes avant qu’elle ne nourrisse mon esprit. Je la vérifie, je la rends vraie par ma pratique existentielle. Ce qui ne signifie en rien que j’y attache valeur absolue ou vérité d’évangile.

 

La sagesse comme idéal de vie ? Voilà qui demande à être interrogé. A ce jour j’ai pris cela comme une évidence, comme le contenu indiscutable d’une définition. Mais je ne suis plus sûr du tout que la philosophie soit l’amour de la sagesse, et que la valeur de référence de la philosophie soit la vérité. Sagesse et vérité me semblent infiniment problématiques, en tous cas ne vont pas de soi. De la même manière je ne suis pas sûr, avec Nietzsche, qu’il faille tout soumettre à la valeur absolue de la vie. De fait je ne suis sûr de rien. Mais prêt à tout. La quête ne fait que commencer, à moins qu’elle n’atteigne en ce point précis la perfection : il faut s’arrêter quelque part, ce ne peut être, fort logiquement, que dans le non-lieu et le sans-demeure – qui est tout autre chose que le néant !

 

 

 

 

 

II

 

 

 

 

 

Pour avancer dans notre recherche nous mettrons dorénavant de côté la question de la sagesse. Nous ferons comme si ce terme était dépouillé de toute signification, résolument forclos du vocabulaire. C’est là une nécessité sans doute temporaire, mais absolue. Nous considérerons que la sagesse est une réaction défensive contre de plus archaïques motions inconscientes, comme la haine et l’angoisse, ou une construction défensive destinée à sauvegarder les illusions du Moi. Nous soutiendrons que l’idéalisation n’est que l’envers de la haine, un processus réactif destiné à maintenir la tension agressive à un degré supportable. Bref nous partagerons par méthode le point de vue populaire, mais peut-être fondé, selon lequel la sagesse est un mythe et le sage un imposteur, aussi incrédible que le prêtre ou le mage.

 

Il nous faudra donc nous soumettre à cette étrange question : comment est-il possible de gérer sans forfanterie ni hypocrisie le difficile problème de notre incarnation pulsionnelle, de nos instincts et de nos désirs, sans tomber dans quelque tartufferie dévote, ou dans un galimatias incompréhensible ? Comment vivre une vie honnêtement réaliste, solidement enchâssée dans le réel, authentiquement humaine ? Et cela sans retomber automatiquement dans quelque formule apprise ou intériorisée sans examen ? Pour le moment je me contenterai de quelques acquis modestes, mais sûrs d’avoir été soigneusement attestés par l’expérience vécue.

 

La première leçon d’une dépression, c’est que sans plaisir la vie est strictement invivable. Si vous en doutez, demandez à tous nos dépressifs ce qu’ils en pensent. Ils évoqueront avec lassitude cette épouvantable anhédonie, comme disent nos psychiatres, cette absence totale de satisfaction, et dans le travail, et dans les jeux de l’amour, et dans l’exécution des fonctions élémentaires de la vie. Tout n’est plus qu’effort, mornitude sans fond, accablement et fatigue. La vie se vide inexorablement de tout contenu, de toute sensation agréable, de tout plaisir et de tout désir. On vérifie a contrario la loi fondamentale de la vie : vivre c’est lutter pour écarter le déplaisir et gagner du plaisir, du moins dans des limites assez strictes. On veut bien souffrir à l’occasion, et peiner, et suer, mais ce ne peut être pour rien. Toujours l’espoir de quelque plaisir à venir soutient l’effort et finalement le justifie, même s’il s’agit en fin de compte d’une superbe illusion. La carotte est plus efficace que le bâton, et quand le bâton reste le seul argument convainquant c’est qu’on anticipe la fin de la bastonnade.

 

Principe de plaisir donc, comme donnée fondamentale. Ce qui n’exclut en rien la validité du principe de réalité, qui n’est sans doute qu’une complexification intelligente du premier, un détour subtil pour intégrer les données de la réalité dans le calcul du plaisir. Le petit cochon intelligent accepte de construire une maison en briques pour mieux jouir à l’avenir de la sécurité du logis.

 

Reste la question épineuse, soulevée par Lacan, après Freud, du principe de répétition, de la compulsion d’échec, du masochisme et de l’autopunition. Pourquoi aimons-nous souffrir, et pouvons-nous à l’aventure préférer une existence de malheur à la saine joie de vivre ? Là encore l’expérience de la dépression fournit des réponses intéressantes. La dépression est perte de plaisir, mais elle s’accompagne aussi d’une forme particulière de jouissance masochiste : réaction thérapeutique négative, obstination inconsciente dans le malheur, complaisance perverse et pathologique, manipulation subtile de l’entourage, narcissisme régressif, isolement autistique et négativisme généralisé. Je dirai que cette jouissance, pour être réelle, a des limites. Vient un moment où elle ne compense plus la perte de plaisir. Car enfin jouir c’est souffrir. Et quand la souffrance devient intolérable il n’est plus d’autre issue que le suicide. Ce qui fait problème, en somme, c’est le rapport complexe du plaisir et de la jouissance. Tant qu’ils sont intriqués, tant que la jouissance s’accompagne d’un certain coefficient de plaisir, la pathologie ne menace pas la vie. Au delà d’une certain seuil de déplaisir, la jouissance devient l’instrument de la pulsion de mort libérée, et finit par se confondre avec la mort : suicide mélancolique, à la fois triomphe et ruine absolue du narcissisme régressif.

 

L’homme veut bien souffrir, et longtemps et beaucoup, mais ne lui en demandez pas trop. Même l’absurde a des limites. Et si l’on finit par supporter de vivre dans une vallée de larmes, c’est toujours avec l’espoir d’un dédommagement, ou ici bas, ou ailleurs, ou pour soi, ou pour ses proches. C’est le fondement universel des religions et des idéologies.

 

Voilà donc un principe bien établi : sans plaisir pas de vie. Cela relativise nos morales du devoir et de la vertu, cela rabote la valeur de nos conformismes. Ne demandons plus à l’homme ce qu’il ne peut donner. Composons avec l’infirmité universelle. Jetons au panier ces exigences qui ne s’adressent qu’à des saints, lesquels n’existent nulle part et n’auraient que faire de nos recommandations.

 

 

 

 

 

 

III

 

 

 

 

 

Comment appliquer ce principe eudémonique très général en lui donnant la consistance indispensable ? Ici il faut aller un peu plus loin que l’ancienne leçon épicurienne. Je proposerai quatre maximes qui définissent une sorte de charte de la liberté.

 

Position méta-normale : je veux dire un dépassement radical du concept même de normalité, une mise à l’écart, un oubli salvateur. Cette décision va de soi après tous les éléments développés jusqu’ici.

 

Position méta-génitale. Après tout que vaut cette exigence quasi universellement saluée comme maturative et normative, quand dans les faits elle n’a aucune efficacité que conventionnelle et bourgeoise ? Je ne prônerai pas une forme régressive de sexualité prégénitale, mais une sorte de jeu de la Diva Voluptas, un Eros décloisonné dont chacun inventera librement les formes, les lieux et les accointances. Je regrette pour ma part que la psychanalyse, qui avait retrouvé la signification oubliée de la libre sexualité en ait tiré une triste leçon de conformisme conjugal. Là encore elle a trahi ses origines au bénéfice d’une idéologie religieuse réactivée et « scientifiquement » légitimée. Hors de l’Oedipe point de salut ! Sur ce point je suivrai volontiers les analyses de Marcuse et de Gilles Deleuze, que l’on a un peu oubliées de nos jours !

 

Position méta-identitaire. J’ai fait longuement le procès de la notion d’identité, suffisamment en tout cas pour ouvrir les vannes de la singularité créatrice. Arrêtons de confondre. Je ne suis pas ce que je suis pour les autres, et d’ailleurs, qui suis-je ? Cette dernière question est elle-même absurde et sans réponse. Inutile d’y revenir. Créons, d’instant en instant, notre présent qui se dissout pour renaître, dans un seul et même mouvement. Impermanence et création.

 

Position méta-existentielle. Bien sûr, il s’agit d’exister. C’est sérieux, mais ce n’est qu’un jeu. Jeu tragique, futile, et joyeux de la création infinie, par delà vie et mort. Jeu du dieu d’Héraclite. Ou comme disent les Taoïstes, équivalence de la vie et de la mort. La valse des contraires donne à l’existence, même assumée dans le sérieux de l’éthique, une dimension ludique supérieure, une sorte d’éclat oblique, à la manière du dieu de Delphes. Nous vivons, mais vivons-nous ? Nous mourons, mais de quelle mort si nous ne vivons jamais tout à fait ? Tout créateur sait cela, tout poète, tout philosophe qui ne se laisse pas abuser par les mots. Au delà de tout langage imaginable, qui nous enserre dans les voiles de l’illusion substantialiste, nous sentons bien que rien ne tient jamais, que tout passe, et que sous un certain rapport la mort précède la naissance.

 

Néo-taoïsme. Ou bien, si vous n’avez aucune accointance à la pensée chinoise, néo-pyrrhonisme : « Si tu veux être heureux considère que tout est convention, sans définition possible, inconnaissable, immaîtrisable et incomparable. Dès lors ta pensée sera libre de toute attache, ta vie sereine et ta sagesse inébranlable ».

 

Pensée libre pour des hommes libres. Silence des astres et calme du cœur.

 

 

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