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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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8 juin 2007

Philosophie du borderline

Borderline, Triptyque de Max Lerouge

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PHILOSOPHIE DU BORDERLINE (Guy Amédé Karl)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

PRELUDE   

 

 

 

 

 

 

 

 

Ma question, notre question, n’est plus le socratique « qu’est-ce que c’est ? », - recherche interminable de l’Etre et de la substance introuvables- ni le souci lacanien du « qui suis-je ? », cette quête éperdue d’un improbable sujet de l’inconscient. Nous ne croyons plus aux substances stables, aux définitions, de quelque nature qu’elles soient, et le sujet lui-même, ce résidu de la décomposition freudienne, nous semble aujourd’hui une extravagance de théologien. Comment poser un sujet qui ne soit immédiatement garanti par la parole divine, comme fait Lacan pour le Nom-du-père, fût-il dépouillé des oripeaux théologiques. Dieu et sujet,  même illusion, même enflure mégalomaniaque, même cache-misère de l’indécrottable dévotion religieuse. La psychanalyse, qui nous promettait une fin de partie plus joyeuse, plus épicurienne et plus sybarite, s’affale pour finir dans une morose restauration des dieux éculés et des culs-de-jatte jésuitiques. Triste fin, dont témoignent tous les jours les innombrables laissés-pour-compte de la cure analytique, les légions de traumatisés de la castration signifiante, les faux miraculés de l’Œdipe, les incalculables cohortes de déprimés post-analytiques, en un mot tous les manchots de la thérapie, tous unanimes dans la même détresse, le même désespoir hébété, la même incompréhension, la même rancune teintée de culpabilité, de honte inavouable, de dépit anxieux. « C’était donc cela la psychanalyse ? Une longue école de renoncement, de dépouillement et d’abnégation, une hivernale retraite dans un cloître déshabité, une sinistre école de dépeçage, d’équarrissage et d’abattage ? Et j’ai vécu tant d’espoirs, tant de découvertes fulgurantes, tant de tentations, de réussites et d’échecs, pour finir de la sorte, désexué, déshumanisé, évidé, émasculé, mutique, erratique, inadapté, en un mot, malheureux? Car, soyons vrais, j’étais peut-être un joli névrosé sans envergure et plein de vent, mais que suis-je donc devenu, si ce n’est un exilé de la vie, un juif errant, un vagabond de l’âme, un asocial, un désabusé qui traîne en tous lieux son visage blafard et son ennui distingué, à la marge de soi, à la marge de tous et de toutes, inclassable, inadaptable, RMIste et défaitiste, sans perspective, sans projet, objet sans sujet, un relégué de l’abject, une sorte de grimace effrayée, point d’interrogation extatique à la face du néant ? »

 

Notre question n’est plus « Qui suis-je ? ». La notion même de l’être, et celle, concomitante, du paraître, a définitivement explosé. Mais il reste l’autre question, la vraie, la question d’aujourd’hui, celle de tous les hommes de l’après-modernité : « Où suis-je ? - Où ? -  Est-il une demeure pour le sans-demeure, pour qui n’a « ni feu ni lieu », cet exilé de la vie, cet ex-orbité, ce voyageur sans origine ni destination, qui tourne indéfiniment dans les marécages d’un monde crépusculaire, d’une île désenchantée peuplée de hyènes et de cadavres, ni dedans ni dehors, mais toujours errant des marges, oiseau des crêtes, jamais ici et jamais là-bas, ni dedans ni dehors, erratique et mystique des extrêmes, zélateur des bords et des bordures, ce « borderline » incurable et désenchanté, figure emblématique de notre nouveau monde, ni névrosé, ni psychotique, mais juste assez  fluent, insaisissable et glissant pour défier toutes les lois, qu’il respecte sans les respecter, défier toutes les normes, dont il joue, et se moquer de toutes les catégories morales ou sociales qui n’enferment plus que les macchabées de la normalité contemporaine.

 

Où sommes-nous, camarades ? Devons-nous regretter les demeures illusoires de la sécurité perdue ? Ou nous rouler dans l’indifférence ? Ou inventer une autre éthique, sans précédent dans l’histoire du monde ?

 

C’est que l’heure est grave. Toutes nos recettes de bonheur ont fondu comme neige dans le déluge universel. Vaines toutes les tentatives de restauration, illusoires toutes nos projections d’avenir. Chacun, pelotonné dans le frimas du présent, regarde effrayé autour de lui et ne voit rien venir que tempête. Temps de la désillusion, du clivage, de la brisure mortelle ou fascinée, de l’exacerbation triste, et de l’expectative sans perspective. Le monde contemporain retient son souffle, comme un épileptique avant la crise imminente. Dans un tel désert on ne peut faire autrement que d’avancer dans le désert, y trouver une oasis nouvelle, ou périr.

 

Il m’a semblé que le terme de « borderline » rendait assez bien compte de cette réalité à la fois sociale et psychique où nous sommes tous peu ou prou depuis l’écroulement de l’optimisme idéologique du siècle passé. Peu d’hommes ont cette chance de connaître la fin d’un millénaire et de sauter à pieds joints dans un autre, mais jamais sans doute un tel saut n’a t-il paru si périlleux, si lourd d’orages et de trombes, si « anxiogène » ! Ai-je rêvé ? J’espérais vivre assez vieux pour connaître le passage du millénaire, mais je n’aurais jamais soupçonné que ce serait pour tomber dans une telle mélasse ! Tous nos idéologues me font rire, mais plus encore, nos tenants du progrès économique inconditionnel me font trembler d’effroi. Je crains les pires dévastations, les plus grands désordres planétaires, et la perte irrémédiable du peu de paix que nous ont assuré les générations précédentes. Les horribles holocaustes du siècle passé ne sont peut-être qu’un pâle avant-goût de l’abjection à venir.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Que faire ? Le « borderline » est un errant transgressif et indifférent, insaisissable et indéfinissable. Loin de nous l’image freudienne du bon névrosé d’antan, perclus de conflits psychiques, engoncé dans ses symptômes mais finalement bien adapté à la déraison du monde, travailleur, moralisant et coupable, que l’on pouvait exploiter à bon compte, assuré de sa fidélité, toute inscrite dans la célèbre devise freudienne : « aimer et  travailler ». Mais que signifie aimer ? Que veut dire travailler ? Qui connaît encore le sens de ces mots vénérables et obsolètes, un tantinet ridicules ? Non, cela ne fait pas de doutes. Si la génération précédente relève encore d’un diagnostic global de névrose, la nôtre, et celle qui suit, se sont déjà solidement installées dans une nouvelle figuration pathologique, plutôt rare autrefois, mais aujourd’hui galopante, irrésistible. Voici le siècle des Borderlines, à moins qu’il ne soit fort risible de parler de siècle pour un tel type de culture gangrené par la pulsion de mort.

 

 

Par delà le diagnostic assez vague et général de borderline, issu de la tradition psychiatrique américaine, je voudrais montrer les traits d’une nouvelle philosophie possible, qui intégrerait les réalités de notre temps, sans pour autant s’y résoudre, et qui esquisserait un programme radicalement révolutionnaire : comment vivre dans la réalité nauséabonde sans y périr, comment témoigner de la vie philosophique sur le fumier de nos terreurs, comment penser, parler, agir (non-agir ?) en philosophe conscient et lucide, sans illusion ni regret, en ce siècle hellénistique de désagrégation universelle ? Quelques grands maîtres, dans le passé, ont su penser en temps de crise et maintenir hors de l’eau le beau visage de la sagesse. Je ne sais si leurs enseignements ont encore quelque valeur. Mais il est sûr que leur exemple, leur intransigeance sont toujours d’actualité et témoignent seuls, avec quelques maîtres de l’art, de la pérennité possible de la culture.

G K

 

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Commentaires
R
cornelius Castoriadis nous a quitté il y a peu mais ses livres sont là et certains artisans rassemblent et publient ses écrits,il me semble que sa pratique est de bon aloi,entre autre bien sûr,j'avoue avoir eu quelques agacements à vous lire,mais la critique n'en n'est pas envisageable ici,tant à dire...,je partage bien sûr bien des points avec vous mais quel, un tant soit peu, honnête homme ne le serait pas, <br /> ps:c'est une amie qui ma soumis votre texte,votre récupération du terme borderline et son accolage avec philosophie ne m'aurait pas incité à le faire sans doute,mais les contingences n'est-ce-pas...
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