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LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
LE JARDIN PHILOSOPHE : blog philo-poiétique de Guy Karl
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25 mai 2007

DE lA SANTE

La santé est le premier des biens. Elle était au centre des préoccupations philosophiques des Anciens, avant de devenir une catégorie médicale. Dans l'Antiquité on ne faisait pas ces distinctions universitaires. Voir le délicieux petit ouvrage " Hippocrate: du rire et de la folie."  Ainsi que d'Aristote "L'homme de génie et la mélancolie". Dans Epicure et les Stoïciens pullulent les considérations sur l'hygiène de vie et la médecine. Il n'y a pas longtemps encore les médecins et les psychiatres étaient frottés de philosophie: Groddeck, Freud, Janet, Jung, Jaspers etc. Aujourd'hui prévaut une perspective étroitement organique, techniciste et utilitaire. La loi du rendement, et en face, l'acharnement thérapeutique, finiront par ruiner toute dimension humaniste de la médecine. Il est temps de pousser un grand cri et d'invoquer les leçons de la tradition, en les renouvelant.

La formule de Groddeck, dit fondateur de la psychosomatique, était: medicus curat, natura sanat. (le médecin soigne, la nature guérit) Aujourd'hui on a tendance à tout régenter selon des programmations socio-économiques, une morale absurde du travail à tout prix, une culpabilisation systématique du malade et de la maladie, comme si la norme absolue était la santé, du moins la santé socialement utilitaire, la même pour tous, avec des relents tyranniques de domestication et de contrôle. La santé échappe de plus en plus à l'individu, qui se voit bombardé de toutes parts de messages contraignants, souvent contradictoires d'ailleurs, et parfaitement inapplicables. Magazines, télé, publicités, émissions radio, tout le monde s'en mêle, plongeant le malheureux homme contemporain dans une sorte d'angoisse de normamlité, d'efficacité, de performance, qui à son tour génère un stress de plus en plus insupportable. ( Voir les suicides au travail, ou pour raison de travail). Tel qui commence une carrière en bonne santé voit sa santé décliner, son moral ravagé, et cherche de tout côté une planche de salut, qu'il trouve rarement dans notre médecine commercialisée, notre système pharmaceutique gangrené par les lobbies, et qui, en dernier ressort ira chez le psychanalyste, espérant une aide, et ne trouvant le plus souvent qu'une écoute, certes bienveillante, mais neutre, si désincarnée qu'elle est vécue comme indifférence, voire abandon. Il ne suffit pas de parler pour guérir, et la fameuse "talking work" de Freud se révèle finalement n'être que verbiage stérile, voué à une interminable répétition. Là dessus François Roustang a fait un diagnostic sans appel. Et moi-même j'entends tous les jours la même souffrance des analysants englués dans leur transfert et rongés par leurs symptômes que rien ne semble pouvoir soulager.

Revenons à quelques modèles antiques, qui me semblent d'une indépassable actualité. Pour nos philosophes grecs l'homme sain est d'abord une sorte d'athlète, non pas de la concurrence sportive aujourd'hui ravagée par le profit et le dumping, mais un homme qui a le souci de sa santé: hygiène et non pas hygiénisme. Médecine et non médicastrerie, pharmacie, et non addiction pharmacologique. Diogène le Chien s'entraînait à supporter le froid comme le chaud, la faim et la soif, le manque et l'abondance. Epicure, qui souffrait beaucoup des reins, recommandait des exercices physiques et psychiques pour apprendre à supporter la douleur et mieux goûter le plaisir. La santé n'est pas une performance mais un équilibre: équilibre des humeurs chez Hippocrate, équilibre des quatre éléments, mesure et tempérance dans la gestion des besoins. Ni ascétisme, ni dolorisme. " la douleur est un mal" dit Epicure, "et le plaisir un bien" Aussi s'agit-t-il d'acquérir une sorte de conscience supérieure et toute individuelle de l'équilibre intérieur et extérieur: on aimera le corps, non comme un moyen narcissique de séduction, non comme un instrument de rendement, mais comme le soubassement énergétique, (la terre) à partir duquel on peut édifier une authentique santé. La santé ne peut donner lieu à une normalisation collective. Il faut apprendre à faire avec notre corps tel qu'il est, avec ses possibilités et ses limites. Les Grecs se savaient mortels. Ils ne prétendaient pas égaler les dieux. Ils ne songeaient pas à allonger indéfiniment la vie. La vie était dure. Il fallait éduquer le corps, mais non le martyriser. Ils n'ont jamais estimé qu'il fallait souffrir pour gagner la vie éternelle. Bref ils n'étaient pas chrétiens, ni scientistes.

Notre athlète developpera le deuxième niveau de croissance: la psychè. Souvenons ici que pour les Anciens l'homme n'était pas un addition d'un corps et d'une âme, (Schéma dominant en Occident, systématisé par Descartes, et source de maux innombrables) mais d'un corps, d'une âme et d'un esprit. C'est ainsi que Lucrèce distingue soigneusement : corpus, le corps matériel, anatomique, physiologique. Puis anima: l'âme végétative, le souffle vital, l'énergie psychique, le sentiment etc Puis animus (ou mens) l'esprit capable de représentation, de conscience, de volonté, de connaissance. Il est extrèmement important de revenir à ce modèle tripartite, car autrement nous sommes dans cet affrontement dualiste du corps (méprisé ou surévalué) et de l'âme, pensée comme conscience et volonté. Freud, après Schopenhauer, avait déjà fait un peu le ménage, mais ce n'est pas encore suffisant. L'âme, dans le schéma tripartite est le centre énergétique, vital, émotionnel, et son rôle dans la conduite de la vie est bien plus important que l'esprit conscient. Notre neurologie vient en quelque sorte renforcer cette idée lorsqu'elle nous invite à penser les trois cerveaux surimposés. Le cerveau reptilien (faim, soif, conservation, reproduction, commun à tous les vivants cervelés. Le cerveau limbique ; émotions, sentiments, pulsions, appétits, plaisir et douleur, et surtout l'humeur - si sombre dans la mélancolie, si exubérante dans la manie) sur laquelle on peut aujourd'hui agir par la voie des psychotropes, régulateurs d'humeur, correcteurs des carences cérébrales etc) C'est cette "anima", cette sensibilité qui détermine pour l'essentiel notre "idiosyncrasie", entendons notre forme singulière d'être et d'être au monde, avec nous et avec les autres. Quant à l'esprit, nul ne songe à contester son extraordinaire intérêt, mais il faut bien reconnaître qu'il est quasi impuissant devant la dominance tonituante du cerveau limbique. Sur ce point les philosophes se sont toujours fourvoyé en croyant qu'on pouvait règler les humeurs par la conscience et la volonté, combattre les passions, exhumer les souvenirs enfouis, rétablir la santé. Mais un raisonnement n' a jamais  guéri un atrabiliaire, soulagé un passionné, consolé un endeuillé, réconforté un dépressif. Quant à vouloir dresser le malade en le brutalisant, c'est encore pire, la volonté n'étant que de peu d'effet dans ce cas. A titre d'exemple, pour des milliers, voyez le sort de ce malheureux Nerval, grand poète s'il en fut, aimé de tous pour sa gentillesse et sa modestie, qui atterrit deux fois à l'hopital psychiatrique, avant de se pendre à 53 ans dans une ruelle de Paris. Il est permis de penser que des antidépresseurs lui auraient assuré une existence moins douloureuse, évité ce suicide, absolument caractéristique de la mélancolie.

Ma propre expérience, fort riche dans le domaine psychique, me conduit à réfléchir sans cesse à ces problèmes. Il m'est arrivé de rire des prétentions intellectualistes de la philosophie, et là dessus je reste intraitable. Je connais la souveraineté pathologique de l'humeur dans la dépression, pourtant je n' ai jamais manqué de volonté, et encore moins de conscience. Je connais à peu près toutes les thérapies existantes, et leurs capacités et leurs limites. Mais qu'importe! Ce qui compte c'est de continuer à réfléchir dans ce domaine si complexe de la santé, d'écouter ceux qui souffrent, de ne pas mépriser ni encourager la douleur, de partager ce qui peut l'être, d'aider quand c'est possible. Car enfin le pire de tout c'est le malade qui ne veut pas se soigner, et j'en connais. Là, vraiment, on ne peut rien faire, sinon attendre soit une amèlioration, soit un effondrement, qui seul permettra peut-être une "reconversion" thérapeutique.

Voilà pourquoi existe ce blog "philothérapie" qui fera peut-être ricaner tel "philosophe" intellectualiste qui n' a jamais souffert. Je me ris de ces bien-portants imbéciles qui croient que tout est possible, simple affaire de volonté. Ceux-là se réfugient dans leur illusion phallique de toute-puissance infantile, n'ont que mépris pour autrui, et vont droit à la catastrophe! Notre époque est profondément malade, et pire, elle se croit détentrice de la vraie santé, sous prétexte que la vie s'allonge en durée. Mais à quoi bon une existence de cancrelat, sans souffle, sans conscience, sans indulgence, sans amour et sans amitié ?

Je reviens au fondateur du Jardin philosophique. Que nous dit-il ? Ne pas être n'est pas un mal. Ce qui est un mal c'est de souffrir, et surtout de souffrir pour rien, sous prétexte d'ambition et d'immortalité. L'homme est irréductiblement mortel, mais il peut trouver des biens immortels dans la sagesse et l'amitié.

Avec ardeur, et un brin de tristesse GK

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